ogawa-formule-professeur.jpgComme neuf employées avant elle, la narratrice est envoyée par son agence de placement pour devenir l’aide-ménagère d’un ancien professeur. Suite à un accident survenu une trentaine d’années auparavant, la mémoire immédiate du vieil homme (si tant est qu’on est “vieux” à 64 ans !) est comme un disque dur dont on écraserait les données toutes les quatre-vingts minutes.

Un des vélos pliants le moins cher du marché mais qui est aussi le plus lourd.

Malgré les notes que le professeur a pris l’habitude d’épingler sur sa veste pour remédier à son handicap, la jeune femme doit se présenter à nouveau chaque matin à son employeur, déstabilisé par la présence chez lui de cette personne qu’il ne reconnaît pas.
Elle-même se retrouve tout aussi perplexe quand, une fois les présentations faites, il la questionne sur sa pointure, sa date de naissance, le poids qu’elle faisait à sa naissance…
Autant de questions qui le ramènent dans l’univers sécurisant de la passion de sa vie : les chiffres et les formules mathématiques. « Ce sont les nombres premiers que le professeur a aimés le plus au monde. Je connaissais leur existence bien sûr, mais l’idée ne m’avait jamais effleurée qu’ils puissent constituer un objet d’amour. Cependant, même si l’objet était extravagant, la manière d’aimer du professeur était tout à fait orthodoxe. Il éprouvait pour eux de la tendresse, de la dévotion et du respect, il les caressait ou se prosternait devant eux de temps en temps, et ne s’en séparait jamais. »
Sa seconde passion, le baseball, le professeur va la partager avec Root, le jeune fils de son aide-ménagère, âgé de dix ans.

A force de patience, ces trois-là vont apprendre à se connaître et s’apprivoiser jusqu’à former une sorte de famille recomposée plutôt singulière.

(aide-ménagère mère célibataire + professeur de mathématiques amnésique + garçonnet fan de baseball)
x
(humilité + complicité)²
=
La formule préférée du professeur,

roman lumineux empreint d’une douce poésie sur l’amitié et… la magie des chiffres et des mathématiques.
« – C’est justement parce que cela ne sert à rien dans la vie réelle que l’ordre des mathématiques est beau. Même si la nature des nombres premiers est révélée, la vie ne devient pas plus aisée, on ne gagne pas plus d’argent. Bien sûr, on a beau tourner le dos au monde, on peut sans doute trouver autant de cas que l’on veut pour lesquels les découvertes mathématiques ont fini par être mises en pratique dans la réalité. Les recherches sur les ellipses ont donné les orbites des planètes, la géométrie non euclidienne a produit les formes de l’univers selon Einstein. Les nombres premiers ont même participé à la guerre en servant de base aux codes secrets. C’est laid. Mais ce n’est pas le but des mathématiques. Le but des mathématiques est uniquement de faire apparaître la vérité. »

Plus je progressais dans ma lecture, plus j’avais sous les yeux l’exacte antithèse de L’élégance du hérisson.
Dans La formule préférée du professeur, l’humilité, le partage, la complicité remplacent le mépris, l’arrogance et l’acrimonie. Je goûtais avec délice à la plénitude et à la sérénité de ces petits moments de partage tout simples de la vie.
Contrairement à la concierge de Muriel Barbery, la narratrice ne conçoit aucun ressentiment de sa condition d’aide-ménagère. Tandis qu’à la première, la lecture sert de rempart contre le monde extérieur, les mathématiques vont rapprocher les personnages de Yoko Ogawa, et les sortir de leur solitude.
Tous deux vont s’ouvrir à un nouveau monde. Plutôt que de la mépriser pour son ignorance (comme se complaisait à le faire la Renée du Hérisson), le professeur va introduire la narratrice dans son univers intérieur peuplé de chiffres et de théorèmes et l’encourager à laisser libre cours à son intuition. « L’intuition, c’est important. On attrape les mathématiques avec l’intuition, comme un martin-pêcheur fond soudainement sur l’eau par réflexe, dès qu’il aperçoit l’éclat d’une nageoire dorsale dans la lumière. »
Celle-ci va se piquer au jeu des chiffres (« Puisqu’il oubliait ce qu’il m’avait enseigné, je pouvais me permettre de lui poser plusieurs fois la même question. Car cinq ou dix explications m’étaient nécessaires pour arriver à comprendre ce qu’un élève normal saisissait tout de suite. ») jusqu’à se laisser séduire par la poésie des mathématiques et la magie des nombres premiers, dans lesquels réside la présence de Dieu selon le professeur.
De son côté, la narratrice va confronter le professeur au monde extérieur en l’emmenant chez le dentiste, chez le coiffeur ou assister à un match de baseball, de banales sorties qui s’apparentent pour lui à d’angoissantes expéditions qu’ils vont braver ensemble.

Jour après jour, ces personnages en marge de la société (elle, à cause de son statut de mère célibataire et lui, à cause de son handicap), à force de patience et de petites attentions, vont développer une amitié profonde et complice. Dans le cadre protégé de la maison du professeur, chacun va veiller sur les autres. L’homme revêche va même se révéler un grand-père de substitution attendrissant pour le jeune Root.
« Chacun de nous trois avait son rôle. Sentir le souffle de l’autre à proximité, le voir accomplir progressivement des petits travaux sans importance, fut source d’une joie insoupçonnée. L’odeur de la viande cuisant dans le four, l’eau gouttant de la serpillière, la vapeur s’élevant du fer à repasser, tout se fondait pour nous envelopper.»
« J’ai observé alternativement mes mains et les plats que j’avais préparés. Le porc sauté décoré avec le citron, la salade de légumes, l’omelette jaune et souple. Je les ai regardés l’un après l’autre. Ce n’étaient que des plats simples, mais ils avaient l’air délicieux. Des plats apportant du bonheur en cette fin de journée. J’ai à nouveau baissé le regard vers mes paumes. Je me sentais bêtement satisfaite, comme si je venais d’accomplir une tâche importante, comparable à la démonstration du dernier théorème de Fermat. »

Avec ce roman, Yoko Ogawa a trouvé l’équation parfaite. Inutile d’être un génie des maths ou un fan de baseball pour apprécier cette belle histoire d’amitié, à la fois tendre et émouvante, qui célèbre les petits riens de tous les jours. En ce qui me concerne, avec les maths et le baseball en thèmes centraux, c’était loin d’être gagné d’avance ! Mais c’est justement parce que ce roman ne se réduit pas à ces deux thématiques, qu’il transcende sans aucun mal, qu’il a su me toucher.

Les premières pages du roman sont disponibles sur le site d’Actes Sud.
Le site officiel du film tiré du roman, sorti en 2006 au Japon et resté inédit en France.

Ce qu’ils en ont pensé :
The-Professor-and-His-Beloved

« Je suis immédiatement tombée sous le charme de cette narration fluide, apte à saisir l’intensité de petits riens, la plénitude des moments vécus et l’extrême humanité des personnages. » Brize
« Si vous ignorez combien il y a de poésie et de mystère dans les mathématiques, lisez ce livre pour vous en convaincre ! » Chaperlipopette
« Mes maths sont lointaines mais j’avoue que cela ne m’a pas du tout gêné, au contraire. Les formules employées et ce qu’elles évoquent sont magiques et belles ! Je ne pensais pas dire ça un jour. » Chaplum
« Une très belle histoire qui donne envie de découvrir le reste de l’œuvre de l’auteur. » Chimère
« Un livre plein d’émotion et un livre qui nous fait regarder autrement les mathématiques… » Gachucha
« C’est une histoire simple, lumineuse et pleine de charme. Les mathématiques y prennent une place importante, sans que cela gêne la lecture, on en arrive à ressentir toute la beauté des nombres premiers ou des nombres amis. » Kathel
« Le style d’écriture est léger, aérien, poétique. Il associe un chiffre à un sentiment, à une idée, le rendant presque vivant, réel et humain. On y retrouve aussi toutes les valeurs qui constituent le socle de la société japonaise, la persévérance, le respect des anciens, la rigueur, l’abnégation, la morale. » Nanne
« C’est une histoire de filiation, d’héritage dans laquelle trois générations vont se retrouver malgré l’égarement de la mémoire. Une belle histoire d’amour, de tendresse et d’humanité. » Papillon
« Un livre qui d’après moi pourrait réconcilier les plus grands écœurés des problèmes du collège avec la beauté des nombres. » Soïwatter
« C’est un superbe roman, tout y est admirable : les personnages, les mots, l’allure des consciences qui nous transportent dans cette incroyable et tendre histoire d’amitié, de profond dévouement entre de parfaits inconnus. » Wictoria

La formule préférée du professeur, de Yoko Ogawa
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
Actes Sud Babel (2008) – 246 pages