paviot-devenir-mortConnaît-on vraiment ceux que l’on appelle nos proches ? Les parents qui croient tout savoir de leurs enfants, savent-ils qui ils sont réellement au plus profond d’eux-mêmes ? Ce lien unique qui les unie à leurs parents n’oblige-t-il pas les enfants à taire et à cacher qui ils sont en vérité ? Autant de questions soulevées par le dernier roman de Christophe Paviot, Devenir mort.

Le vélo électrique pliant à peine plus encombrant répond comme tout les vélos pliant à un besoin typiquement urbain de se déplacer rapidement, puis de rentrer très facilement son vélo dans un ascenseur pour le stocker dans un appartement ou un petit balcon.

Après le décès de son fils, revenu en France auprès de sa famille pour mourir, une mère débarque à Brooklyn où il s’était expatrié quelques années plus tôt. Pour ranger et rendre l’appartement à son propriétaire, payer les factures, clore les comptes bancaires et les contrats d’assurance, vendre la vieille Buick…
Mais toutes ces démarches administratives fastidieuses ne sont en fait qu’un prétexte pour retrouver son fils une dernière fois, à travers ses odeurs, ses vêtements, ses objets…, pour le faire revivre le temps d’un instant. « Elle aurait voulu le serrer dans ses bras, l’embrasser, pleurer doucement avec lui. Elle pleure seule, soutenue par une peine infinie. Elle savait depuis toujours qu’il partirait le premier, c’était une sensation qu’elle n’avait su exprimer, mais elle le sentait, c’était là, sans trouver de justification à ces pensées. Elle s’était familiarisée avec cette idée sans y croire complètement, et maintenant que c’était arrivé, elle savait que tout, tout ce qu’elle redoutait allait l’assaillir dans chacun des plis de son quotidien. Jusqu’à la fin de ses jours, jusqu’à la fin de son intelligence et de son amour. »

Contre toute attente, en cherchant à retrouver ce fils chéri, avec lequel elle avait une relation pour le moins fusionnelle (« En voyage, il lavait ses vêtements tous les trois jours, c’était la condition pour tenir, il imaginait que le séjour ne faisait que commencer. Plus tard, il en a assimilé les raisons. Il avait peur parce que sa mère avait peur. La savoir là-bas à Paris, la membrane de son ventre suintant de liqueurs gastriques, lui causait des douleurs symétriques. Tout au long de sa vie, il n’a jamais su comment se débarrasser de cette anxiété. Elle a toujours su comment l’alimenter. »), elle va mettre à jour un homme qui, en fait, lui était devenu parfaitement étranger.
Plusieurs découvertes (comme ces sacs sur lesquels étaient inscrits des prénoms de filles, contenant des petites culottes sales), mais surtout des discussions avec deux de ses ex-petites amies lui dresseront un portrait sans fard, autrement plus complexe et moins idéalisé de son fils : celui d’un être avec ses failles et ses lâchetés, qui savait se montrer aussi attachant que détestable. « Quand je l’écoute me parler de lui, j’ai l’impression qu’elle me parle de quelqu’un d’autre, quand elle m’écoute parler de lui, elle dit qu’on dirait que je parle d’un con. Je n’aime pas son vocabulaire, mais j’apprécie sa franchise.» «Nous marchons parmi ces gens, sans destination, je crois que je ne l’aime plus trop cette June. J’ignore si c’était son intention, si elle en avait réellement conscience, mais en voulant me dégoûter de mon fils, elle m’a dégoûtée d’elle. »

Plus elle cherche à en savoir sur son fils, plus ce qu’elle découvre l’éloigne de lui. « Soudain, elle comprend qu’il aurait pu l’étonner tout au long de sa vie, mais leurs existences ont glissé l’une contre l’autre, sans se toucher, isolées par une coque d’amour et de fierté.» Et pourtant, dans un état proche du manque, elle ne parvient pas à brider son besoin d’aller toujours plus loin, frisant parfois la curiosité malsaine. «Elle n’a plus la force de continuer. Elle se tait. Puis elle réalise qu’elle n’a plus la force de s’arrêter. (…) Non, ce qui la tue, c’est de ne jamais avoir su qui il était. Elle leur assure qu’elle aurait préféré avoir un fils emprisonné, en connaissance de cause, plutôt que de découvrir quelqu’un d’autre après son décès. Quoi qu’il ait fait, quelle que soit son échelle de valeurs, elle préférait savoir, elle préférait connaître son enfant. Elle sait désormais qu’elle n’a pratiquement rien partagé avec celui qu’elle a porté. »

Fleur de Paviot*. Devenir mort est un roman puissant, poignant qui renvoie le lecteur à la relation qu’il entretient avec ses propres parents. Devenir mort est dérangeant aussi, par son côté vénéneux, parfois trash. Christophe Paviot ne caresse pas son lecteur dans le sens du poil. Il n’hésite pas à le bousculer, notamment lorsqu’il évoque le rapport fusionnel que la mère continue d’entretenir avec son fils au-delà de la mort ou lorsqu’il fait parler les corps, parfois de façon crue, voire obscène. Mais c’est toujours pour mieux mettre en exergue l’amour et l’humanité de ses personnages. La langue de Paviot est belle, sa narration dynamique, alternant les chapitres à la première et à la troisième personne, donnant ainsi du personnage de la mère un éclairage tantôt intérieur, tantôt extérieur.

Depuis son premier roman, Paviot ne cesse de se bonifier. De Les villes sont trop petites jusqu’à Blonde abrasive, qui était mon préféré jusqu’à aujourd’hui, chacun de ses nouveaux romans me plait plus que le précédent. Ce garçon pour le moins rock’n’roll vient d’adapter le concept de Making of au roman, en se filmant lui-même pendant l’écriture de son roman. Un petit film sans prétention, bricolé “maison”, qui confirme le statut atypique de son auteur dans le monde littéraire.

* En langage des fleurs, le pavot symbolise le sommeil, l’oubli, le désespoir ou l’adieu.

A découvrir :
– la page MySpace et le site web de l’auteur.
– deux interviews de Christophe Paviot à l’occasion de la sortie de Devenir mort, par Strictement Confidentiel et Podwrath.

Devenir mort, de Christophe Paviot
Hachette Littératures – 270 pages