blondel-jean-philippe L’auteur de This is not a love song sait se rendre disponible.
A la suite des « Trois questions » de Caro(line) et de l’excellente interview de Dda pour Biblioblog, Jean-Philippe Blondel a accepté de satisfaire ma curiosité.
Au moment où je l’ai joint, il venait de mettre le point final à la première mouture de ce qui sera (déjà !) son prochain roman.

Dans votre dernier roman This is not a love song, on peut lire « Est-ce qu’on est responsable des gens avec lesquels on a vécu, une fois que notre histoire commune s’est terminée ? Est-ce qu’on se doit d’accompagner ceux qui nous ont accompagnés, doucement, jusqu’à la porte de sortie de notre existence pour que leurs fantômes ne viennent plus jamais s’interposer ? »

Ce vélo complètement pliable est idéal pour le ranger entre les entraînements. L espace n est plus un problème à l.

Le constat de départ du roman est très autobiographique puisque je vivais en colocation avec mon meilleur ami depuis une dizaine d’années quand j’ai rencontré ma femme. Au moment où les choses sont devenues sérieuses entre nous s’est posée la question de savoir ce que mon colocataire, sans travail fixe, deviendrait quand nous allions nous installer. Au-delà du bouleversement que cela allait forcément avoir sur sa vie se greffait une question purement économique. Ce roman est donc né d’une question qui me hante, d’une trouille. Je l’ai écrit pour essayer de répondre à cette question. Et ma réponse à cette question est « oui ».

Justement, la précarité est au centre du roman…

Oui, plus que le problème des SDF, c’est la précarité qui est au cœur du roman. C’est un problème que je ressens fortement en tant qu’orphelin. J’ai perdu mes parents et mon frère à l’adolescence et j’ai très vite appris que si tu ne te démerdes pas tout seul, personne ne le fera pour toi.

Pourtant, il arrive aussi qu’en période de galère, certains essaient de s’en sortir sans y parvenir…

Oui bien sûr, c’est en cela que le discours “Quand on veut, on peut” de Vincent est agaçant. Tous ses jugements à l’emporte-pièce, notamment sur les défauts de la France face à l’Angleterre, en font une vraie tête à claques.

Avez-vous pris plaisir à entrer dans la tête d’un narrateur antipathique ?

C’est très intéressant, j’ai adoré ça ! J’ai aussi aimé l’idée que cela puisse être déstabilisant pour le lecteur qui a tendance à s’identifier d’emblée au narrateur. On n’aime généralement pas s’identifier à des salauds. Cela dit, j’ai reçu des courriers de lecteurs de 25/30 ans qui ont aimé Vincent de bout en bout.

Journalistes ou lecteurs, ce qui ressort des critiques de This is not a love song, c’est ce “virage” dans le style Blondel.

C’est vrai que celui-ci est un peu plus âpre que mes romans précédents, mais quand j’entends dire que c’est le livre de la maturité, ça me fait rire puisque la première version de ce roman date de 1997, soit avant Accès direct à la plage. Quand j’ai senti que le moment était venu pour moi, je l’ai ressorti de mes tiroirs. Tout était déjà dedans. Je n’ai fait que travailler le style et rendre le personnage encore plus désagréable qu’il n’était à l’origine.

Cette rupture d’image est-elle clairement volontaire chez vous ?

Suite au succès médiatique de Juke-Box, les journalistes m’ont rapidement collé l’étiquette de l’écrivain lisse et empathique. J’en ai rapidement eu marre qu’on ne cesse de me répéter que j’étais un gentil. C’est aussi en réaction à cela que j’ai choisi de construire mon roman autour d’un narrateur antipathique.

Chez vous, les apparences sont souvent trompeuses. Je pense notamment à Maud, ce personnage aux multiples visages d’Accès direct à la plage ou ici à Vincent, salaud cynique qui cache sa déchirure.

J’aime jouer avec les changements de points de vue. Sans paraître prétentieux, jouer avec le lecteur est pour moi un enjeu littéraire. Dans Accès direct à la plage, le lecteur participe au roman en cela qu’il lui faut combler les ellipses. C’est dans cette optique-là que je pense à mon lecteur au moment où j’écris. Mais jamais je ne m’empêcherai d’écrire quoi que ce soit au prétexte que cela pourrait le désorienter ou le décevoir. D’ailleurs, This is not a love song a des allures radicales, c’est un peu “Take it or leave it”. Soit on le prend tel quel, soit on n’adhère pas et on le déteste. Le lecteur y trouvera ce qu’il veut y trouver. C’est ce qui me plaît, ne pas donner à lire une seule histoire.

Vous écrivez tous les jours. En quoi cela vous est-il indispensable ?

Je n’ai pas de réponse à cela, mais ce que je sais, c’est que si je n’écris pas, je ne vais pas bien, je n’arrive pas à dormir, et je peux même devenir infect ! C’est presque comme une addiction. Cela m’a fait le même effet quand j’ai arrêté de fumer. J’avais pris l’habitude d’écrire une à trois pages chaque soir et puis en relisant mes romans, je me suis aperçu que je pouvais y distinguer les moments de pause. J’ai donc choisi de changer mes habitudes pour bouleverser la routine d’écriture et briser le rythme de la narration. Désormais, je peux écrire quatre pages un soir et une seule le lendemain. Je me force à m’arrêter, je me mets volontairement en situation de manque. Je tiens un journal depuis l’âge de treize ans. Rien de très extraordinaire, plutôt du factuel. Je mets par écrit ce que j’ai fait dans la journée, qui j’ai rencontré, ce que j’ai lu ou vu au cinéma. Cela m’aide beaucoup quand j’écris un roman, pour pouvoir recadrer l’histoire et bien la replacer dans le contexte de l’époque. Quand je relis les entrées de mon journal, cela me replonge dans l’ambiance du moment, et alors me reviennent les images et les sons. Sinon, même quand je n’écris pas, j’y pense toute la journée ; je suis sans cesse à l’affût, j’écoute, j’observe, je traque les détails. C’était déjà le cas quand j’étais enfant.

Quand vous écrivez, pour vous détacher plus facilement du quotidien, vous avez pour habitude d’écouter une chanson en boucle.

Cela me prend beaucoup de temps pour trouver la chanson qui colle le mieux à l’univers du roman que je suis en train d’écrire. Pour celui-ci, mon titre de départ était Faux frère. Mais plusieurs romans portaient déjà ce titre, que je trouvais un peu facile et pas assez “punchy”.
J’ai trouvé que This is not a love song collait mieux à l’ambiance du roman, notamment à cause de ses paroles « Happy to have / Not to have not » et « Now will I find you / Now will you be there ». Mais ce n’est pas la seule chanson que j’ai écoutée à cette période. Il y en a eu d’autres dont No bravery, de James Blunt qui dit notamment à plusieurs reprises « He has been here ».

Votre domaine de prédilection est l’introspection. Vous sentiriez-vous d’écrire un roman d’aventure, d’anticipation ou encore un polar ?

J’ai écrit dans le passé un roman policier. J’étais plutôt satisfait de mon intrigue de départ mais j’ai eu des problèmes pour la tenir jusqu’au bout, c’était tiré par les cheveux et c’est devenu n’importe quoi. Je crois que ce genre d’exercice n’est pas pour moi. Je suis définitivement dans le domaine de l’intime, du “Je”. Déjà, pour moi le fait de dire “Il” m’est difficile.

Continuez-vous à lire quand vous êtes en pleine période d’écriture ?

Oui, je lis tout le temps, n’importe où, alors même dans ces moments-là, je ne m’arrête pas de lire. Mais quand j’écris, je lis toujours des romans qui sont loin de moi, de mon univers ou de celui de mon roman en cours. Dernièrement, j’ai lu Terre des oublis de Duong Thu Huong, qui se déroule au Vietnam peu de temps après la guerre, et aussi le roman de Stéphane Audeguy, La théorie des nuages, que je vous recommande, sur les scientifiques du XIXe siècle qui ont donné les noms aux nuages.

Qui est votre premier lecteur ?

Les premiers à découvrir mes textes sont ma femme et mon meilleur ami. Ma femme est impartiale. Quand elle me dit que c’est pas mal, je sais que je tiens quelque chose.

A part la promotion de This is not a love song, quelle est votre actualité ?

Va paraître prochainement chez Gallimard Des nouvelles de La Fontaine, un recueil pour lequel dix-huit auteurs* ont écrit une nouvelle originale à partir d’une maxime ou d’une morale extraite d’une fable de La Fontaine. Celle que j’ai choisie est « Je plie mais ne romps pas ». En octobre, Actes Sud Junior publiera un roman que j’ai écrit pour les ados. Enfin, une nouvelle inédite paraîtra dans le prochain numéro de la revue Décapage.

* Stéphane Audeguy, Salim Bachi, François Begaudeau, Philippe Besson, Jean-Philippe Blondel,
David Foenkinos, Philippe Grimbert, Isabelle Jarry, Maylis de Kerangal, Cypora Petitjean-Cerf,
Anna Rozen, Philippe Ségur, Dominique Sigaud.