cinquieme-saison-brisac-adam-cathrine-lambertIl n’y a pas quatre mais cinq saisons. Tout le monde ne le sait pas, ce n’est pas quelque chose que l’on apprend en classe. Plutôt une réalité que la vie nous enseigne. Cette Cinquième saison est le temps troublé de l’adolescence, ce passage délicat mais obligé du monde de l’enfance à celui des adultes, cette période transitoire intense, parfois douloureuse mais toujours riche en enseignements.
Ils sont cinq écrivains à s’y être collé pour écrire les cinq nouvelles du recueil, chacune ayant pour narrateur un(e) adolescent(e).

Vous allez me dire que les vélos pliables, cela existe déjà. Cela ci, en dehors de ces roues originales, ne semble pas changer grand chose.

Arnaud Cathrine attaque avec le printemps. Dans Pas de printemps pour Charlie, le jeune garçon se retrouve, sans grand enthousiasme, chez son oncle Jacques, sorte de paria de la famille, qu’il connaît à peine. Contre toute attente, Charlie va mettre de côté ses préjugés sur son oncle et découvrir un adulte bien différent de ceux qu’il côtoie chez lui… « (…) j’aurais parié cher qu’il n’avait jamais passé plus de dix minutes avec un garçon de mon âge, aussi avait-il verrouillé notre week-end, espérant dans le meilleur des cas recevoir un touriste hystérique, présumant plus simplement qu’il fallait “fatiguer l’ado” pour qu’il s’endorme tôt, ainsi minimiserait-on les plages de silence embarrassé et autres répliques pathétiques des deux chiens de faïence qui se regardent dans le blanc de l’œil. »

Pour Nora, la jeune héroïne de Un été Chez Vous, la nouvelle d’Agnès Desarthe, l’été n’a rien d’une période d’insouciance. Nora est rongée par des angoisses de toutes sortes qui lui gâchent la vie. Elle préfère se priver de vacances plutôt que de s’éloigner de ses parents, quitte à devoir les accompagner sur leur lieu de travail. Là, elle va découvrir une autre facette de ses parents : sa mère, prête à tous les mensonges pour vendre les biens immobiliers dont elle a la charge dans son agence ; son père, flirtant sans honte avec ses collègues féminines de travail. Une rencontre inattendue va lui ouvrir de nouveaux horizons… « L’angoisse, ça a vraiment commencé il y a trois ans. Je ne sais pas ce qui m’a pris. C’est comme un rhume. Cinq minutes avant d’être enrhumé, on se sent parfaitement normal et puis, paf, on éternue, une fois, deux fois. Trois fois de suite, on a les yeux un peu humides, la gorge qui gratte et voilà, c’est foutu, on a un rhume. Sauf que le rhume, ça part en quinze jours. L’angoisse, ça ne part jamais. Mon médecin généraliste dit que c’est lié à mon imagination. »

Même à Saint-Malo, le bord de mer, en novembre, n’a rien de réjouissant, d’autant que la famille de Claire s’y est retrouvé pour vider la maison de son cher Grand-Pa, décédé depuis peu. Marquée du sceau de la mélancolie, Une plage en novembre, la nouvelle d’Olivier Adam, confronte une adolescente aux premières désillusions de la vie… « Tout me semblait éternel. Comme l’enfance. Mais nous avons grandi. Les autres ont commencé à s’ennuyer, les oncles à se raidir, les tantes à s’engueuler, et Grand-Pa à vieillir. D’année en année, il se faisait plus discret, plus rare. Il ne quittait plus son étage que pour les repas, une promenade en fin d’après-midi et des baignades de moins en moins régulières. Mais quand même, cet été, qui aurait pu prévoir qu’aux premiers jours de l’automne son cœur lâcherait ? »

Le titre de la nouvelle hivernale de Jérôme Lambert, Bonne année, toi-même, donne le ton. Avec humour, Bastien (alias Raymond) attend non sans quelque impatience que sa fiancée vienne le rejoindre pour le réveillon de fin d’année, et passe avec lui leur première nuit d’amour… « (…) en ce qui me concerne, j’ai appris à aimer ça, l’attente. Evidemment, je n’ai pas choisi, je ne ferai avaler à personne que j’aime attendre depuis toujours. Mais ça s’apprend. Ça s’apprivoise l’attente, ça se domestique, on peut la faire changer de couleur et la loger dans un coin plus confortable que la gorge ou le ventre au creux des quels elle vient se coller d’habitude. Il suffit de la déplacer sans qu’elle s’en rende compte. Dans les mains, ça peut faire des dégâts comme des ongles rongés jusqu’à la peu (minimum) ou la destruction d’objets divers, voire du mobilier (maximum). Déplacer l’attente dans ses pieds est aussi une mauvaise idée sauf à la campagne si le jogging est possible, dans tous les autres cas on risque de finir par creuser des douves dans le salon sans même s’en rendre compte. Bref, à mon avis, l’idéal est de mettre son attente dans une pomme et de la poser sur une table. »

Enfin, Akka, la narratrice de La reine a fait faire un bouquet, la dernière nouvelle écrite par Geneviève Brisac, “coincée” le temps des vacances parmi des adultes qui la dégoûtent, tant physiquement que pour leur moralité qu’elle trouve douteuse, se réfugie dans le mutisme. « Les larmes me montent aux yeux de rage et de honte. Je ne suis pas une adolescente en crise, il est si facile d’enfermer les gens dans des cases, à quoi ça sert de ne pas regarder la télévision si c’est pour avoir exactement la même façon de penser, je ne veux pas de leur satisfaction molle, de leurs réponses toutes faites, de leur complaisance molle, de leurs corps dégoûtants, de leurs mensonges. »
« (…) je ne lis qu’un seul livre jusqu’à ce qu’il n’ait plus du tout de goût, comme on mâche un chewing-gum, et je trouve que c’est une bonne façon de faire. Il doit être assez petit pour tenir dans ma poche et assez compliqué pour me résister. »

Marchands des cinq saisons. Pas facile de grandir. C’est ce que nous montrent les textes de ces cinq auteurs confirmés où les ados, en butte au monde des adultes, découvrent l’envers du miroir et entament leur émancipation. Des textes qui sonnent juste, souvent un peu tristes, voire mélancoliques (chez Adam), ou parfois drôles (chez Lambert), mais qui tous laissent entrevoir un demain meilleur. Mes préférences vont aux nouvelles d’Arnaud Cathrine et Olivier Adam. Un recueil de qualité qui devrait réconcilier les plus rétifs à ce genre peu prisé en France (n’est-ce pas, Anne ? ;o)), et qui donne fortement envie de découvrir les romans “pour adultes” de ces écrivains (merci JP pour cette découverte).
A ne surtout pas réserver qu’aux jeunes lecteurs.

Les auteurs en disent plus sur ce projet sur le site Ecole des Lettres
L’avis de Lily.

La Cinquième saison, d’Arnaud Cathrine, Agnès Desarthe
Olivier Adam, Jérôme Lambert et Geneviève Brisac
L’École des Loisirs – 204 pages