savage-pouvoir-chienBon, c’est toujours le coup de feu au boulot. Et avec Marguerite, je n’ai pas forcément choisi le livre adéquat à la situation. J’aurais sans doute mieux fait de choisir le genre de petit bouquin distrayant qu’on peut apprécier même l’esprit occupé. Cela dit, je me régale avec L’œuvre au noir, mais ça je le raconterai plus tard.
Bref, tout ça pour dire que, pour ne pas faire le mort trop longtemps, je vais consacrer ce billet à l’un des mes romans préférés : Le Pouvoir du chien,de Thomas Savage.

Très bon vélo pliant pour usage en ville ou à la campagne. Un compagnon idéal pour tous les déplacements.

Bienvenue dans l’ouest Savage. Nous sommes dans les années 1920, au ranch Burbank, un des plus vastes domaines du Montana. A la tête de l’exploitation, deux frères : Phil, l’aîné, cow-boy misogyne mal embouché, et George, introverti balourd, plutôt falot. Les contraires s’attirent dit-on.
Une chose est certaine, le couple qu’ils forment fonctionne à merveille ; le rôle de chacun est clairement défini : Phil dirige les milliers de têtes de bétail et la dizaine de vachers d’une poigne de fer, tandis que George passe ses journées dans les livres de compte. La quarantaine révolue, célibataires endurcis, les deux frères partagent toujours la même chambre de la maison familiale.

Esprit brillant, Phil est passé maître dans l’art de vexer et humilier plus faible que lui. Son premier souffre-douleur est George qu’il affuble de l’aimable sobriquet “Gras-double”. Mais, même si tout le monde l’ignore, ses sarcasmes ont également fait une autre victime : le docteur du coin qui n’a trouvé que le suicide comme échappatoire à ses incessantes humiliations.

Dans les vastes étendues sauvages du Montana, les journées se suivent sans surprise, jusqu’au jour où George brise ce fragile équilibre en épousant Rose, la veuve du médecin. Dès lors, Phil n’aura de cesse de chasser l’intruse du ranch. Incapable de faire face aux brimades constantes de Phil, Rose trouve refuge dans l’alcool. Quand Peter, son jeune fils, vient la rejoindre pour les vacances d’été, Phil sait qu’il tient là l’instrument de sa vengeance. Conscient de son ascendance sur celui qu’il a rebaptisé “la chochotte”, il sent que la partie est gagnée.

Even cow boys get the blues. Paru aux Etats-Unis en 1967, ce roman n’est arrivé en France qu’en 2002. Et pourtant, quarante ans avant Annie Proulx et son Brokeback Mountain, Thomas Savage met à mal l’image virile du cow-boy Marlboro. Car sous sa carapace de rustre misogyne, raciste et homophobe, Phil n’est en fait qu’un homo refoulé dans un monde où il est de bon ton d’afficher une virilité exacerbée. Il redoute tellement de perdre le contrôle et de dévoiler malgré lui sa véritable nature qu’il va jusqu’à refuser de boire la moindre goutte d’alcool. Frustrations, haine de soi, perversité… face à Phil, Nelly Olson n’a qu’à bien se tenir !
Dans Le Pouvoir du chien, Thomas Savage met minutieusement en place les éléments du drame et distille subtilement les indices. Rien n’est laissé au hasard. La machine se met en branle et la tension psychologique ne cesse de croître pour atteindre son paroxysme lors du dénouement. Qui est fort, qui est faible ? Qui est la victime, qui est le tortionnaire ? Les apparences sont parfois trompeuses, permettant ainsi aux personnages d’échapper aux clichés. Le Pouvoir du chien est de ces romans qui vous hantent longtemps une fois refermés.

A noter également, là aussi comme dans Brokeback Mountain, l’omniprésence de la nature, intimement liée au destin des personnages. Pour écrire ce roman, Thomas Savage a puisé dans ses souvenirs. Petit-fils d’un chercheur d’or et d’une femme venue au far-west instruire les Indiens, il a passé sa jeunesse dans le Montana où son beau-père était un des plus gros éleveurs de la région.

L’avis de Matoo est ici.

Pour vous mettre dans l’ambiance, les premières lignes : « C’était toujours Phil qui se chargeait de la castration. D’abord, il découpait l’enveloppe externe du scrotum et la jetait de côté ; ensuite, il forçait un testicule vers le bas, puis l’autre, fendait la membrane couleur arc-en-ciel qui les entourait, les arrachait et les lançait dans le feu où rougeoyaient les fers à marquer. Étonnamment, il y avait peu de sang. Au bout de quelques instants, les testicules explosaient comme d’énormes grains de pop-corn. Certains hommes, paraît-il, les mangeaient avec un peu de sel et de poivre. « Amourettes », les appelait Phil avec son sourire narquois, et il disait aux jeunes aides du ranch que s’ils s’amusaient avec les filles ils feraient bien d’en manger eux aussi. George, le frère de Phil, qui, lui, se chargeait d’attacher les bêtes, rougissait d’autant plus de ces conseils qu’ils étaient donnés devant les ouvriers. George était un homme trapu, sans humour, très comme il faut, et Phil aimait bien l’agacer. Quel grand plaisir, pour Phil, d’agacer les gens ! Personne ne portait de gants pour des opérations aussi délicates que celle de la castration, mais on en mettait pour presque tous les autres travaux, car il fallait se protéger les mains des frottements de corde qui brûlent la peau, des échardes, des coupures et des ampoules. Tout le monde portait des gants pour prendre le bétail au lasso, poser les piquets de clôture, marquer les bêtes au fer ou leur lancer du foin, et même tout simplement pour monter et faire courir les chevaux ou conduire les troupeaux. Tout le monde, sauf Phil. Il était au-dessus des ampoules, des coupures et des échardes, et il méprisait ceux qui se protégeaient avec des gants. »

Le pouvoir du chien, de Thomas Savage
Traduction : Pierre Furlan
10/18 – 363 pages