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Une BD qui parle de la difficulté d’un ado à affirmer son homosexualité, ça ne pouvait que m’intriguer.
ChezLo avait titillé ma curiosité en mars dernier, et le billet du Génépi et l’argousier qui m’a rafraîchi la mémoire. Il n’a pas fallu plus de ces deux avis enthousiastes pour que je me rue sur La ligne droite, d’Hubert et Marie Caillou [1].

La ligne droite, c’est l’histoire d’Hadrien, un ado introverti et solitaire. Élève dans un collège catholique, il essuie régulièrement les railleries de ses camarades qui se moquent volontiers de son look ringard d’intello premier de la classe. Il a pour unique ami, Bruno, lui aussi mis à l’écart par les autres élèves.
Un jour, en cours d’EPS, après un violent plaqué de Jérémie, Hadrien est blessé pendant le match de rugby. Jérémie, c’est tout le contraire d’Hadrien, un grand sportif, entouré d’une bande de potes et de Laure, sa petite amie du moment.
Sur le chemin pour l’infirmerie, les deux garçons que tout oppose vont échanger pour la première fois et se découvrir différents de ce qu’ils s’imaginaient l’un l’autre. Hadrien et Jérémie vont se rapprocher, à la grande surprise de leur entourage respectif. Leur complicité va peu à peu évoluer vers des sentiments plus profonds.

ai utilisé mon nouveau vélo, un pliant.

Mais sous la pression de leurs camarades et du directeur de l’établissement qui découvrent le pot aux roses, Jérémie choisit de retrouver le confort de son placard, tandis qu’Hadrien se jette à l’eau [2].

Devant la banalité de sa trame mille fois rebattue, on pourrait exprimer quelque méfiance préalable à l’égard de La ligne droite. Malheureusement, les clichés enfilés les uns après les autres ne peuvent que donner raison aux plus dubitatifs.
D’un côté, on a le jeune pédé, forcément nul en sport mais cultivé. Hadrien est hyper-calé en philo, histoire de l’art, aime Maupassant et cite Nietzsche dans une conversation au collège (ça en jette quand même plus que des citations tirées des chansons de Mylène Farmer !). Il a une mère surprotectrice (d’autres n’hésiteraient pas à dire castratrice) qui l’infantilise, un père aux abonnés absents (divorcé ? mort ?). Et en bon freak intello, il est affublé de lunettes disgracieuses.
De l’autre côté, le bogosse du collège, bête de sport, à l’indice de popularité frisant les 1000 %.

On se croirait dans un soap américain pour teen-agers décérébrés. D’ailleurs, l’histoire est censée se dérouler dans le Finistère mais il pourrait tout aussi bien s’agir de l’Amérique profonde, tant l’épure des décors laisse place à l’interprétation. La ligne claire et les à-plats de couleur adoptés par Marie Caillou, principalement dans des gammes de tons bleu et rouge, confèrent à l’ensemble un côté rétro anachronique qui place l’histoire comme hors du temps.

Paradoxalement, ce côté rétro que j’ai beaucoup aimé colle parfaitement bien à cette histoire qui, si elle se veut pourtant contemporaine, n’aurait pas dénoté dans les années 40-50. À part une brève allusion à un téléphone portable, il n’y est jamais question d’Internet, de réseaux sociaux qui sont pourtant indissociables de la vie des ados d’aujourd’hui. En outre, ils ne doivent plus être nombreux les ados si facilement conciliants avec leur mère comme l’est Hadrien.
Le collège catho a tout du pensionnat old-school, avec ses profs et son directeur d’un autre âge, considérant l’homosexualité comme « un douloureux problème, mais il n’est pas insurmontable. Il ne faut pas désespérer… » [3]

Évidemment, on a constaté récemment comment les manifestations anti-mariage pour tous ont exalté le conservatisme d’une certaine frange de la population. Impossible d’ignorer désormais que certaines positions n’ont pas bougé d’un iota en 45 ans. On pourra également m’avancer l’exemple du livre d’Édouard Louis. Pour autant, un minimum de nuance n’aurait pas nui au propos trop caricatural et manichéen pour qu’on lui accorde un certain crédit.
Un aspect de La ligne droite m’a néanmoins plu : il démontre que le “douloureux problème” n’est pas l’homosexualité mais bel et bien la pression de l’entourage familial et/ou social. Il montre aussi comment les moqueries et le harcèlement des ados sont souvent imités du, voire encouragés par le, comportement de certains adultes (ici, le prof de sport).

Une chose est certaine, la lecture de La ligne droite n’est certainement pas à recommander à un jeune homo qui cherche à s’affirmer. La succession des déceptions vécues par Hadrien pourraient lui laisser croire qu’il n’existe point de salut hors de la ligne droite, qu’il n’ y a pas d’échappatoire autre que la “norme” ou le suicide. En revanche, elle rappellera certainement à beaucoup d’homos de mon âge les heures sombres de leur jeunesse.

Quelques planches à découvrir sur le site web de Glénat ou du site perso de Marie Caillou.
À écouter : Hubert évoque la genèse de La ligne droite.

Ce qu’ils en pensent :

Jean-François : « Cette bande dessinée n’est pas sans rappeler, dans une version masculine, Bleu est une couleur chaude, la magnifique bande dessinée de Julie Maroh. »

Joëlle : « C’est une lecture intéressante sur un sujet sensible et abordé pudiquement mais de façon réaliste. »

Lorraine : « Un album au graphisme magnifique et au récit intime sans concession. »

La Sardine : « Solitude, désespoir, incompréhension, intolérance. Attention, cet album choque, claque, renverse. Quasi inoubliable ! »

Sur Babelio.

La ligne droite, d’Hubert et Marie Caillou
Glénat (18/09/2013) / Collection 1000 Feuilles – 128 pages

Notes

[1] Ne connaissant pas Hubert et Marie Caillou, j’ai d’abord cru qu’ils étaient mari et femme ou frère et sœur. Que nenni. Il y a Hubert tout court, d’un côté, au scénario, et Marie Caillou, de l’autre, aux dessins.

[2] À chacun d’interpréter la fin ouverte et de prendre l’expression au propre ou au figuré

[3] L’expression n’est pas sans rappeler L’homosexualité, ce douloureux problème, l’émission sur RTL de Ménie Grégoire, restée célèbre dans les annales mais qui remonte quand même au 10 mars 1971 !