bohemian-flats-mary-relindes-ellis Fin du XIXe siècle, en Bavière allemande.
Les Kaufman connaissent une certaine prospérité grâce à la bière brassée à la ferme par le père, Heinrich.
Les deux derniers de ses trois fils, Albert et Raimund, se passionnent pour les études. Au contact de leur professeur Herr Richter et de sa famille, ils s’enthousiasment pour les discussions humanistes, bien plus libérales que celles partagées à la ferme.

Vélo pliable bleu.

Quand Heinrich meurt brusquement d’une crise cardiaque quelques années plus tard, la ferme revient de droit au fils aîné, Otto, un type odieux, fainéant et violent. Profitant de sa position dominante, il refuse que Raimund aille à l’université, comme celui-ci le souhaite, et l’oblige à devenir un homme d’Église ainsi qu’il est d’usage alors pour les benjamins.
Pétri des idées progressistes de son professeur, Raimund décide de fuir l’Allemagne archaïque et rétrograde du Kaiser Guillaume II. Il embarque pour l’Amérique, terre de liberté et de tous les possibles.

Depuis New York, Raimund gagne le Minnesota et s’installe dans les Bohemian Flats, un quartier déshérité de Minneapolis, sur les rives du Mississippi.
Cet agglomérat de petites baraques de bois est le refuge de migrants européens (Irlandais, Allemands, Finlandais, Russes, Tchèques, Slovaques…) venus tenter leur chance dans le nouveau monde.
Dans ce joyeux foutoir de coutumes, de croyances et de langues différentes, la solidarité n’est pas un vain mot, qui rend plus supportables les conditions de vie sommaires.

« Il se languit de ce qui les unissait tous, ce rire abolissait les vieilles querelles ou les haines ethniques. C’était leur défense contre les piètres logements, les propriétaires absents, avares ou tyranniques, les vêtements rapiécés, les longues heures de labeur dans les usines et les brasseries, une alimentation limitée au chou et aux pommes de terre. Ce rire était leur seule défense, l’antidote qui les protégeait. Il y avait encore des piques et des taquineries lorsqu’ils évoquaient leurs pays respectifs. Mais la haine était un luxe que personne ne pouvait s’offrir, car il venait toujours un moment où l’on avait besoin de tous ses voisins, où l’on mettait à profit tous les talents.
Et puis il y avait le Mississippi, ses offrandes et ses débordements, fleuve qui les comblait et les maudissait comme un dieu. Mais un dieu qu’ils comprenaient ; un dieu qui était là, à leurs pieds. »

Une fois trouvée sa place dans la communauté des Flats, Raimund, devenu Raymond, invite Albert et sa femme, Magdalena, une des filles Richter, à le rejoindre en Amérique. Ceux-ci, restés à la ferme à travailler pour le compte d’Otto, n’en peuvent plus de ses humeurs tyranniques.
Laissant en Allemagne un Otto écumant de rage, Albert, Magdalena et leurs deux fils arrivent dans les Flats. Mais, contrairement à Raimund, ils ne comptent y rester que le temps nécessaire pour économiser suffisamment d’argent pour acheter une ferme et des terres dans le Wisconsin.

« Les gens apportent avec eux leur culture, leurs différends culturels, leurs différences religieuses. Une fois aux États-Unis, à mesure que leur destin s’améliore, ils sont libres de modifier la morale propre à leur identité ethnique et finissent souvent par adopter les manières parfois dédaigneuses qui caractérisent la culture anglo-saxonne dominante. »

Alors que les uns et les autres travaillent dur à se construire une nouvelle vie, les Kaufman vont être rattrapés par leurs origines : la Première Guerre mondiale fait de l’Allemagne et des États-Unis des ennemis…

« (…) les Américains le considéreront-ils toujours comme allemand une fois qu’il sera rentré et qu’il aura tombé l’uniforme ? »

Après un superbe premier roman « intimiste », Wisconsin, Mary Relindes Ellis revient avec Bohemian Flats, une saga qui court sur plusieurs générations de 1881 à 1968, et nous emmène depuis Augsbourg, en Allemagne, jusqu’aux États-Unis.

Solidement documenté, Bohemian Flats rend hommage à ces migrants, hommes et femmes qui, pour repartir de zéro, ont quitté leur pays et leurs racines pour rejoindre l’Amérique. Mais loin du mythe du rêve américain, leur liberté sera chèrement payée, puisque même au prix de vies sacrifiées sous la bannière étoilée, ils ne seront toujours pas considérés comme des citoyens américains à part entière.

« Je ne voulais pas que Marek y aille “Ça n’est pas notre guerre” je lui ai dit. Mais c’est difficile d’encaisser des insultes quand vous n’êtes qu’un jeune blanc-bec. Marek n’en pouvait plus qu’on le traite de sale bohémien, exactement comme Eberhard détestait qu’on le traite de Fritz. Je ne sais pas ce qu’ils ont dans cette ville. Eux aussi, ils viennent d’ailleurs, mais si on leur pose la question, ils répondent toujours qu’ils sont américains. Nous on se bat pour l’Amérique comme eux. On paie le même prix. »

Le mieux est l’ennemi du bien, dit-on. Une chose est certaine, cette opulence de sujets, de protagonistes, d’époques… finit par nuire au roman qui aurait grandement gagné à être ramassé sur une période précise, à se concentrer sur les personnages centraux seulement.
Sans doute Mary Relindes Ellis s’est-elle montrée trop ambitieuse. Visiblement, elle a à cœur de traiter ses thématiques de façon exhaustive.
Cette fresque foisonnante brasse des thèmes aussi forts et variés que l’exil et l’intégration (avec tous leurs corollaires : discrimination, racisme, identité nationale…), la cohabitation des cultures, des religions et des croyances (droit à la différence, tolérance…), l’incidence du passé et des histoires familiales sur le présent…

« Publier une histoire personnelle expose les morts à des questions et des jugements qui forceraient les vivants non seulement à répondre, mais aussi à se défendre. »

Forcément, certains aspects (la condition des Indiens, l’homosexualité, les dons divinatoires…) sont à peine effleurés. Noyés dans la masse, ils perdent de leur intérêt initial. De même, comme débordée par leur nombre, elle apparaît embarrassée par certains de ses personnages qui, du coup, manquent de chair et de profondeur psychologique.
Par ricochet, la narration, moins dynamique et moins fluide, montre par moments des petits coups de mou.

Malgré ces imperfections, il n’en demeure pas moins qu’en présentant l’envers du mythe de l’American Dream, Bohemian Flats est un roman intéressant qui se lit sans déplaisir… même si j’aurais aimé y retrouver ce souffle et ce tourbillon d’émotions qui m’avaient emporté dans Wisconsin.

Quoi de mieux que de vous faire votre avis en lisant les premières pages du roman, à découvrir ici.

Dans cet article, Mary Relindes Ellis explique comment la citation de Faulkner “The past is never dead. It’s not even past” éclaire son roman.

Ce qu’ils en ont pensé :

Manu : « Beaucoup de choses devraient être dites sur ce beau roman, très foisonnant. (…) J’avoue que Bohemian Flats m’a moins secouée et émue que Wisconsin, mais ça n’en demeure pas moins un excellent roman que je conseille sans réserve. »

Miss Leo : « Ce roman, sans être un chef d’œuvre, m’aura en tout cas procuré quelques heures de bien agréable lecture. Mary Relindes Ellis développe un univers d’une grande richesse thématique, et fait preuve de belles qualités narratives. »

Sentinelle : « Mary Relindes Ellis s’est visiblement bien documentée sur le sujet et arrive à donner vie aux habitants des Bohemian flats, rendant un vibrant hommage à ces familles courageuses qui ont quitté leur pays d’origine pour construire ailleurs une vie meilleure. »

Plus d’avis sur Babelio

Un grand merci à Babelio de m’avoir offert l’occasion de lire ce roman que j’étais impatient de découvrir.

tous les livres sur Babelio.com

Bohemian Flats, de Mary Relindes Ellis
(The Bohemian Flats) Traduction de l’anglais (États-Unis) : Marc Auligny
Belfond (2014) – 438 pages