Le-roman-d-ernest-et-celestine-daniel-pennac Ernest, le gros ours, et Célestine, la petite souris, sont amis pour la vie.
Pourtant, rien ne prédisposait ces deux-là à se rencontrer et encore moins à fraterniser : le monde d’en haut, celui des ours, ne côtoie pas le monde d’en bas, celui des souris. Pire, ils se craignent et s’opposent sans cesse.

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De tout temps, dès leur tendre jeunesse, ours et souris sont éduqués dans la peur de l’autre :

« Dans le monde du dessus, les parents ours sont ravis que les dents de leurs petits soient chipées par “la petite souris”. Par ailleurs, s’ils en voient une se faufiler dans l’appartement, ils la chassent sans vergogne. Dans le monde souterrain, on apprend aux souriceaux à avoir peur du “Grand méchant ours”, tout en les forçant à aller dérober des petites dents et des fournitures à la surface, et à apprendre le métier de dentiste, capital dans un monde où les incisives affûtées sont des outils vitaux… »
(extrait 4e de couverture)

Les hasards de la vie vont jouer les entremetteurs et mettre la souris hardie sur le chemin de l’ours débonnaire. De leur rencontre inopinée, va naître une indéfectible amitié.
Malgré la force de leur lien, un malentendu demeure entre eux : quand il découvre Célestine dans la poubelle, Ernest avait-il l’intention de la boulotter comme elle le prétend, ou n’était-ce qu’un inoffensif bâillement, comme lui le soutient mordicus ?
Peu importe, les deux compères se sont trouvés et ne vont plus se quitter, envers et contre tous. Ours et souris confondus.

Il faut dire que les deux amis sont en rupture avec leur communauté respective : au droit qui ferait de lui un juge comme tous les ours de sa famille, Ernest préfère la musique ; plutôt que de devenir dentiste comme il en a été décidé pour elle, Célestine veut devenir peintre. Leurs penchants artistiques et leur ostracisme va les rapprocher et renforcer le lien qui les unit.
Mais cette amitié n’est pas du tout du goût du monde des ours d’en haut, ni du monde des souris d’en bas, qui vont tout faire pour les remettre « dans le droit chemin ».

Huit ans ! L’espace de ces quelques heures passées en compagnie du Roman d’Ernest et Célestine, j’ai à nouveau eu huit ans, sans mentir [1].
Franchement, j’étais à fond dedans. J’ai trépigné, tremblé, ri au rythme des rebondissements de leurs nouvelles aventures, menées de main de maître par Daniel Pennac. J’ai adoré l’espièglerie de Célestine et la bonhomie d’Ernest, leurs incessantes chamailleries.

Évidemment, l’adulte que je suis a lu clairement entre les lignes le message de tolérance et d’entraide véhiculé par l’histoire : la peur de l’autre se nourrit de l’ignorance et des préjugés. Quand on accepte l’autre tel qu’il est et qu’on apprend à mieux le connaître, on se rend vite compte qu’il n’est en définitive pas si différent qu’on le pensait. Il faut apprendre à aller au-delà de ses certitudes.
Mais j’ai grandement apprécié que Pennac ne se contente pas de livrer une gentille histoire moralisatrice. Il témoigne d’un grand respect pour l’intelligence de son jeune lecteur. D’ailleurs, tout au long du récit, il n’a de cesse de le titiller, de le faire réagir. Pour cela, il utilise toutes les ficelles du guignol : il l’interpelle, le fait participer, l’interroge, le stimule, lui lance d’incessants clins d’œil et joue la connivence en le prenant en aparté.

« -Je ne connais aucune Célestine, mon adorable souris mécanique, vous feriez mieux de reculer sans toucher à vos armes et de redescendre gentiment chez vous, sinon…
Personne n’a jamais osé traiter le chef des rats policiers de souris mécanique.
– Sinon, quoi, charmant objet transitionnel ? Qu’est-ce qu’il va se passer, sinon ? (Là il faut que vous demandiez à quelqu’un de bien informé ce qu’il veut dire par « charmant objet transitionnel. ») en tout cas l’expression déplaît beaucoup au chef des ours blancs qui répond en grondant :
– Comment viens-tu de m’appeler, répugnante expérience de laboratoire ?
Mais cette conversation (de plus en plus difficile à comprendre et qui risque de devenir grossière) n’a absolument aucun intérêt. L’important, dans cette histoire, c’est Ernest et Célestine, n’est-ce pas ? Eh bien, pendant que les policiers du haut et ceux du bas se chamaillaient, Ernest avait tranquillement tourné la clé de contact (tu parles comme on va les attendre !) et la camionnette rouge avait démarré. »

« Le Grand Dentiste souriait toujours. Mais un sourire de sécateur au moment où le sécateur va couper la rose, vous voyez ? Exactement ce sourire-là. »

En bonus, l’air de rien, Pennac initie son jeune lecteur à la fabrication d’une histoire, et aiguise sa sagacité en lui montrant comment l’auteur et les personnages ont chacun leur mot à dire dans le déroulement du récit, et comment tous interviennent à leur niveau.

« Il paraît que le bonheur ne se raconte pas. Il paraît que c’est très ennuyeux, le bonheur. Il paraît qu’il ne se passe rien chez les gens heureux. Ils sont heureux et puis c’est tout. Comme si le temps s’était arrêté. Rien à raconter, à ce qu’on dit. Je ne suis pas de cet avis. Mais alors pas du tout ! Je pense même que si on devait raconter tout le bonheur d’Ernest et Célestine il faudrait des milliers de pages. Parce que le bonheur c’est à la fois immense et minuscule. Pour décrire l’immense bonheur d’Ernest et Célestine, c’est facile, il suffit d’une phrase : “Ernest et Célestine étaient immensément heureux.” Voilà, c’est fini. Mais pour décrire les mille et un petits bonheurs de ce bonheur immense, alors là, il faudrait un énorme livre ! »

« LE LECTEUR : Mais vous, vous ne pourriez pas revenir en arrière ? Trouver autre chose ? (…)
L’AUTEUR : Trop tard, c’est écrit et vous l’avez lu. Je ne peux pas faire comme si vous ne l’aviez pas lu.
LE LECTEUR : J’ai tellement peur de la suite !
L’AUTEUR : Mais cette peur, n’est-elle pas un peu délicieuse, tout de même ?
LE LECTEUR : …
L’AUTEUR : Sincèrement…
LE LECTEUR : …
L’AUTEUR : …
LE LECTEUR : Si. Exquise, même. »

Ces discussions auxquelles se mêlent Ernest et Célestine (et, de temps à autre, d’autres protagonistes du récit) sont diablement réjouissantes et rendent les personnages bougrement vivants. J’imaginais avec bonheur en lisant ces dialogues quelles seraient les réactions d’un enfant à qui on lirait cette histoire.
Pour ne rien gâcher, Pennac a bourré son texte d’un humour bon enfant, qui va se nicher jusque dans le titre des chapitres.

  • Chapitre 9 : Comment Ernest s’est fait prendre (Chapitre très court parce que ça s’est passé très vite)
  • Chapitre 10 : Comment Ernest s’est évadé (Chapitre deux fois plus long parce qu’il est deux fois plus difficile de s’évader que de se faire prendre)
  • Chapitre13 : Chapitre abominable (Plus que ça, même !)
  • Chapitre 14 : Chapitre bien pire (Mais si, c’est possible !)

C’est donc un hommage subtil et sensible que Pennac rend à Gabrielle Vincent, créatrice des personnages d’Ernest et Célestine. Le vieux schnock que je suis s’est délecté de ce texte jeunesse intelligent. C’est tout juste si je n’ai pas regretté ne pas avoir sous la main un gosse avec qui partager cette lecture savoureuse et réjouissante (j’aurais dû me renseigner ; ça doit bien se dégoter quelque part en location à l’heure, ces trucs-là, non ?).

Un énorme merci à Babelio et son opération Masse Critique à qui je dois ce délicieux moment régressif (et, au passage, la lecture de mon premier Pennac. Please, don’t say anything, I know.).

Pour La Croix, Daniel Pennac lit un extrait du Roman d’Ernest et Célestine (suivi de l’extrait du film d’animation correspondant).

Ce qu’ils en ont pensé :

Entrelespages : « L’auteur de Chagrin d’école signe une œuvre habile, émouvante et pleine d’aventure. »

George : « Pennac reste un prof dans l’âme, un prof fabuleux en plus d’être un merveilleux conteur d’histoires ! »

Majanissa : « L’histoire est charmante, drôle, les personnages sont sympathiques, c’est mignon et le final est parfait. Une grande leçon de tolérance qui devrait être inculquée aux petits comme aux grands. »

Nadael : « Un roman tendre et drôle, rythmé et joyeux. Une belle histoire d’amitié qui fait voler en éclat les a priori. »

De nombreux autres avis sur Babelio.

Le roman d’Ernest et Célestine, de Daniel Pennac
Casterman Poche (2013) – 224 pages

Notes

[1] « Si tu m’crois pas, hey, tar’ ta gueule à la récré. » © Alain Souchon – J’ai dix ans.