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Kathleen Winter © D.R.

Pour faire suite au billet sur Annabel, roman de Kathleen Winter, voilà un entretien avec l’auteur qui devrait convaincre les hésitants et faire se précipiter les autres chez leur libraire le plus proche.

Annabel est votre premier roman publié. Comment et pourquoi êtes-vous venue à l’écriture ?

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Mon père m’a appris à lire phonétiquement quand j’avais deux ou trois ans. Puis il m’a emmenée à la bibliothèque. Aussitôt que j’ai eu lu mon premier livre, j’ai su que je voulais écrire des livres.

Quelle a été la genèse d’Annabel ?

Une de mes relations m’a rendu visite un été. Elle m’a alors parlé d’un enfant intersexué (elle disait, elle, enfant hermaphrodite). Je ne savais pas vraiment qu’on pouvait naître intersexué. J’ai commencé à me demander ce que cela pouvait être de naître ainsi, et j’ai cherché tout ce que j’ai pu sur le sujet. Ensuite, j’ai écrit une nouvelle qui est devenue un roman. Tout ce cheminement a pris près de trois ans.

Vous avez situé votre roman à la fin des années 60. Est-ce parce que vous pensez que les choses auraient été très différentes de nos jours ?

Avant de pouvoir écrire, j’ai besoin de me représenter chaque chose clairement dans mon esprit. Je voulais montrer la texture, les sons et les odeurs de la vie telle que l’a connue un enfant qui a grandi dans les années 70, qui est l’époque de ma majorité.
Je pensais vraiment que les choses seraient différentes pour un enfant comme Wayne/Annabel aujourd’hui, mais mes lecteurs intersexués m’ont dit que leur histoire n’est pas différente ; ça ce passe encore ainsi aujourd’hui.

De même, vos personnages vivent dans un coin reculé du Labrador. Pensez-vous que la situation aurait été plus facile dans une grande ville ?

Je n’en suis pas certaine. Je sais comment fonctionnent les petites villes et j’ai vécu quelque temps dans le Labrador. Je voulais que transparaisse la puissance de la terre, tout comme ses réalités sociales.
En ville, l’histoire aurait été très différente, mais pas forcément dans le sens où moi je l’aurais souhaité.

Le Labrador, et la nature en général, tiennent une grande place dans votre roman. Ils sont des personnages à part entière, au même titre que Jacinta, Thomasina ou Treadway. Dans le livre, la nature est un havre de paix, une source de bien-être. Est-ce une façon pour vous de dire que laisser Wayne/Annabel tel(le) que la nature l’a fait(e) aurait été la décision la plus sage à prendre ?

J’aime cette question. La réponse est peut-être oui. La nature possède une telle sauvagerie, une telle force et, en même temps, elle renferme dans chacun de ses aspects une beauté et une harmonie intenses. Alors, oui, peut-être que la calligraphie des arbres, des herbes, des racines et des nuages laisse entendre qu’il y a de la beauté dans tout être vivant, et cela inclut l’enfant Wayne/Annabel.

La culture inuit tient une grande place dans votre roman. Étiez-vous déjà familiarisée avec cette culture avant de commencer l’écriture de ce livre ? Pensez-vous qu’elle possède une sorte de sagesse que la culture occidentale a perdue depuis longtemps ?

J’ai passé du temps dans des camps de chasseurs Inuits, j’ai vécu plusieurs années à Terre-Neuve et dans le Labrador où vivait une ethnie indigène aujourd’hui éteinte, les Beothuk, et où vivent encore d’autres cultures aborigènes du Canada. Je ne prétends pas connaître ces cultures en profondeur, mais comme vous le dites, je pense réellement qu’en Amérique du nord, ma propre culture (celle des colons blancs européens) s’est éloignée de son centre et a perdu le lien avec le « soi » et sa force, ainsi que le lien avec les autres mais aussi avec la terre, l’air et l’eau.

Dans Annabel, vous traitez d’un sujet sensible. Pendant le processus d’écriture, étiez-vous attentive à ce que vous disiez ? Craigniez-vous de blesser certaines personnes ?

Plus que tout, je voulais écrire la vie de Wayne/Annabel de façon ordinaire et sans sensationnalisme. Je voulais que l’histoire dépasse le cadre médical et aborde les affaires du cœur et de l’âme.
J’ai essayé de toujours garder à l’esprit la signification de mes mots et ce à quoi ils renvoyaient. J’ai été profondément touchée que des lecteurs intersexués et leurs amis aient été émus par mon travail.

J’imagine que vous avez dû faire des recherches poussées sur l’hermaphrodisme. De toutes les sources (articles de presse, littérature, études médicales), laquelle vous a été la plus utile à l’écriture ?

Ma fille, qui étudie les Women’s Studies à l’université de Montréal, m’a donné des textes sociologiques, littéraires et médicaux de certains de ses cours. J’ai ainsi appris de nombreux faits médicaux.
J’ai essayé autant que possible de lire les textes d’écrivains et d’orateurs intersexués, et je suis allée explorer tout au fond de moi mes propres sentiments, expériences et souvenirs sur le genre et sur la façon dont la société crée des frontières entre les concepts de masculinité et de féminité.

Vous montrez que déterminer si Wayne est un garçon ou une fille n’est finalement qu’une histoire de taille de pénis. Malheureusement, n’est-ce pas toujours le cas dans la vie en général ?

On aime se reposer sur les nombres, les mesures, les statistiques. Mais j’ai le sentiment que ce qui est vraiment important se situe ailleurs.

Tandis que Jacinta est plus encline à laisser son bébé tel qu’il est né, dans le plus grand flou, pour Treadway, il n’existe aucune autre option que de trancher pour un sexe ou l’autre. D’une façon générale, pensez-vous que les hommes sont moins à l’aise que les femmes avec l’ambigüité ? Ce qui ferait des femmes des êtres plus tolérants que les hommes.

Il est difficile de généraliser, mais je dirais que je me sens plus à l’aise avec l’ambigüité que la plupart des gens semblent l’être. J’essaie d’apprendre à mes enfants à penser de la sorte, et de cultiver des amitiés avec des personnes qui n’ont pas de problème pour s’ajuster. Je pense qu’avec l’âge, si on ne vit pas en bonne intelligence avec l’ambigüité et l’incertitude, on est certain de ne pas être heureux dans la vie.

Les noms de vos personnages sont importants dans la mesure où ils disent beaucoup sur ceux qui les portent. Vous avez choisi d’intituler votre roman Annabel et non pas Wayne (ou Wayne & Annabel). Est-ce que parce que vous considérez qu’il y a chez Wayne plus de féminin que de masculin ?

Dans mon esprit, tout le temps où j’ai écrit le livre, je l’ai appelé Wayne/Annabel. C’est seulement quand j’ai imaginé le lecteur nez à nez avec le livre, dans une bibliothèque ou sur son étagère, que j’ai pris conscience que je voulais que le “Annabel” caché soit le premier nom auquel il soit confronté.

Vous avez choisi une fin ouverte pour votre roman. Au lecteur d’imaginer l’avenir de Wayne/Annabel. Vous, vous le voyez comment, cet avenir ? Pensez-vous que vivre sans avoir de sexe clairement déterminé est viable sur le long terme ?

Cela dépend du type de société, de la capacité de l’environnement social à montrer de la de compassion et de la compréhension. Je crains que nous soyons loin de cet idéal et j’espère que nous continuerons à nous acheminer vers un monde où la vie d’un genre double ou indéterminé sera appréciée pour cette chose, précieuse et belle, qu’elle est en vérité.

À titre personnel, Treadway est le personnage qui m’a le plus ému. La façon dont il essaie de gérer la situation, comment il s’efforce de réagir de la meilleure façon qui soit pour son enfant alors qu’il n’est pas dans sa nature d’exprimer ou de montrer ses sentiments. Quel est votre personnage préféré ? Qu’y a-t-il de Thomasina en vous ?

Treadway est également mon personnage préféré. Je n’avais pas idée, quand il est apparu dans l’histoire, qu’il possédait tant de degrés de compréhension et de compassion. Je ne savais pas ce qu’il allait faire jusqu’au moment où il agissait. J’ai appris de lui quand j’ai écrit ce livre.
Le personnage de Thomasina est basé (comme beaucoup de mes personnages) en partie sur des versions composites ou des collages de personnes que je connais. Il m’a tellement fallu imaginer leur mondes intérieurs que je pense qu’il y a un peu de moi dans à peu près tous les personnages du livre. Et puisque nous avons tous plusieurs personnalités en nous, j’ai pu puiser certains détails dans mes vies intérieures.
Mais, de la même façon, certains aspects des personnages sont complètement fabriqués, même s’ils sont fidèles à certains principes et certaines énergies que j’ai pu observer ailleurs, à un moment donné.

Avez-vous dû batailler pour imposer le thème de votre roman à votre éditeur ? Avez-vous été surprise par l’accueil chaleureux que les lecteurs ont réservé à votre livre ?

Mon éditeur m’a toujours témoigné son soutien. La seule bataille que j’ai dû mener, vraiment, était une bataille technique contre mes propres habitudes de travail et mes capacités. J’ai dû travailler très dur pour que le livre se tienne et que sa structure soit exploitable. J’ai beaucoup appris en l’écrivant.

J’imagine que vous avez rencontré vos lecteurs lors de séances de dédicaces/lectures. Votre public est-il hétérogène ou en ressort-il un profil type ? Quel est le point commun de vos lecteurs ?

J’ai été surprise de l’enthousiasme qu’a suscité ce livre chez des hommes d’un certain âge, des ados, des hommes et des femmes d’une cinquantaine d’années et beaucoup d’autres lecteurs. Je pense que, peut-être, beaucoup d’hommes ont aimé ce qu’ils ont lu sur Treadway. Mais alors que j’écrivais le livre, je n’imaginais pas que des hommes mûrs et même âgés aimeraient le roman à ce point.

Bien que mon expérience personnelle soit très différente de celle de Wayne, en tant que gay, je partage avec lui un certain décalage avec les autres, ce sentiment d’être marginalisé d’une certaine façon. En écrivant Annabel, pensiez-vous toucher également le public gay (et même plus largement encore) ?

Il semblerait que beaucoup de gays se soient identifiés à Wayne, et je n’avais vraiment pas pensé à ça. Je n’en étais pas consciente jusqu’à ce que le livre soit publié. J’ai reçu des lettres tendres et poignantes de jeunes lecteurs gays. Cela m’a énormément émue que le livre touche le public gay comme il l’a fait.
Cela m’honore d’avoir pu raconter cette histoire de façon à ce qu’elle touche les gays. Cela me donne le sentiment d’avoir accompli dans ma vie quelque chose qui vaille la peine. C’est très important pour moi, et j’en suis reconnaissante ; je me sens « connectée », moins seule.

Pouvez-vous nous dire sur quels projets vous travaillez actuellement ?

Je travaille sur des mémoires personnelles d’un voyage à travers ce qu’on appelle le passage du Nord-Ouest, qui traverse le Canada Arctique. Je travaille aussi sur un recueil de nouvelles.

Comme d’habitude, pour qui préfère lire les propos de l’auteur dans le texte, la version originale de cet entretien est disponible en annexe de ce billet.