Liban, 1985.
Depuis dix ans déjà, le pays est le théâtre d’une guerre civile entre les différentes confessions : chrétiens maronites, musulmans chiites et sunnites, druzes, juifs…
Pour compliquer encore les choses, les deux grandes puissances mondiales s’y affrontent par pays interposés : l’URSS via la Syrie, les États-Unis via Israël.
Et puisque son ennemi de toujours est engagé dans cette guerre, la Palestine s’est invitée au conflit.
Vélo pliable appartenait à un homme âgé servi quelque fois.
De cette période, les plus anciens se souviendront forcément de l’affaire des otages français, Marcel Carton, Marcel Fontaine, Michel Seurat et Jean-Paul Kaufmann, libérés trois ans plus tard (à l’exception de Seurat, mort en captivité en 1986).
Le Liban, donc, en 1985.
Plus précisément, la ville de Tyr, au sud du pays, près de la frontière avec Israël.
Dans cette région pauvre, les habitants se sentent, plus qu’ailleurs, oubliés par Beyrouth et le gouvernement d’Amine Gemayel.
Dans le modeste café de quartier où il travaille comme serveur, le jeune Mustafa observe et écoute les clients.
Jour après jour, le même sujet occupe les conversations : les coupures de courant chroniques qui paralysent la ville en la plongeant dans le noir.
Sans électricité, les ventilateurs ne peuvent plus chasser la chaleur étouffante, et les réfrigérateurs conserver la nourriture qui s’avarie.
Et même si le système D marche à fond, même si de nombreuses installations de fortune ont été bricolées par les habitants à travers la ville, il faut toujours descendre à pied les étages des immeubles –à défaut d’ascenseur en fonctionnement !- pour réenclencher le disjoncteur et rétablir le courant.
Face à la lassitude et à l’exaspération des adultes, Mustapha décide de passer à l’action. Secondé par son jeune frère Mohammed, il parcourt les rues, la nuit, pour rétablir le courant et apporter un peu de réconfort aux habitants de Tyr. À l’image des super-héros, les deux garçons sillonnent les rues du quartier affublés d’un masque et d’une cape, leur fidèle chien sur les talons.
Bientôt, les deux frères se rendent compte qu’ils ne peuvent pas, à eux seuls, ratisser toute la ville. Il leur faut des acolytes. Ils vont donc recruter de nouveaux membres parmi leurs amis et les autres enfants du quartier pour former une ligue de super-justiciers. Tous ensemble, ils vont passer la nuit à quadriller la ville, inconscients des dangers de la guerre, sans se soucier des attaques aériennes qui peuvent surgir à tout moment…
Qu’elle est touchante et revigorante cette bande de gamins candides et altruistes des Lumières de Tyr, qui décident de prendre à bras le corps les problèmes que les grands semblent incapables de régler eux-mêmes ! En rétablissant l’électricité, ils apportent aux habitants de Tyr un semblant de normalité et ravivent l’espoir.
Dans le climat grave et oppressant d’un pays en guerre, la soif d’idéal de ces enfants et leurs rêves d’héroïsme apportent une fraîcheur bienvenue. Pleins d’insouciance, ils ne mesurent pas bien les dangers réels de la guerre et les risques qu’ils prennent à déambuler la nuit dans les rues de la ville. Leurs parents, en revanche, sont terrifiés de les savoir dehors et préfèreront, pour leur sécurité, les envoyer dans de la famille à l’étranger.
En montrant la guerre à travers le prisme du regard de Mustapha, Mohammed, Bassam, Sarah et les autres, Joseph Safieddine dédramatise une situation grave et violente, sans pour autant occulter l’omniprésence du danger et de la mort, comme les bombardements intempestifs ou le parachutage de jouets piégés destinés à tuer et mutiler les enfants qui les ramassent. Comparable à de la gravure, le dessin en noir et blanc de Xavier Jimenez cadre parfaitement avec les ambiances nocturnes du récit.
Une belle histoire qui malgré la noirceur de son propos réserve de jolis moments de tendresse et réconcilie avec la nature humaine.
Une (nouvelle) agréable découverte que je dois à l’opération Masse Critique BD de Babelio, de décembre dernier.
Les premières planches des Lumières de Tyr sont à découvrir sur le site de l’éditeur, Steinkis.
La page Facebook des Lumières de Tyr.
Le blog de Xavier Jimenez que les experts BD connaissent mieux sous le pseudo Sixo.
Plusieurs entretiens de Joseph Safieddine à lire sur ActuaBD ou à écouter sur France24 et i>TELE.
Les lumières de Tyr, de Joseph Safieddine et Xavier Jimenez
Steinkis (2012) – 156 pages