enola_game_diehl Un jour, quelque part.
Soudain, une lumière aveuglante… et plus rien.
L’électricité et les moyens de communication sont coupés, impossible de savoir ce qui se passe exactement.
Rien d’autre que les ordres crachés par les mégaphones des patrouilles, intimant aux habitants de rester confinés chez eux, et de ne sortir sous aucun prétexte.

La femme se retrouve donc coincée avec sa petite fille de quatre ans, prisonnières de leur propre maison. Elle ignore ce qu’il est advenu de son compagnon, parti depuis le matin au travail, et de son aînée, en vacances chez son ex-mari.
Un jour passe, puis deux, puis… Interminables, les journées se succèdent et se ressemblent. Plongée dans l’angoisse et l’attente, la femme s’efforce de créer au jour le jour un semblant de normalité qui rassure sa fillette.
La nuit, quand l’enfant dort, la mère se réfugie dans ses souvenirs d’un monde perdu et idéalisé qu’elle fait revivre par écrit dans son cahier. C’est souvent dans ces moments là, qu’elle capitule, épuisée, et se laisse aller au désespoir, loin du regard de sa fille.

est vanté comme le plus léger des vélos pliables jamais conçus.

Puis, arrive le temps où l’eau et la nourriture stockées dans la maison viennent à manquer. La femme doit se résigner à piocher dans les vivres distribuées quotidiennement par les patrouilles, même si elle s’en méfie, sans trop savoir exactement pourquoi.
Un peu plus tard, sa réserve de bois de chauffage épuisée, il lui faut commencer à sacrifier certains des meubles dont elle a hérité de sa famille. Au-dehors, s’engage le sinistre ballet des pilleurs qui s’en prennent aux habitations voisines.
Dans la maison, la peur grandit à mesure que la menace extérieure se fait plus tangible.

Enola Game, premier roman de Christel Diehl, a fait les beaux jours de la blogo en début d’année.
De mon balcon, les avis enthousiastes et la jolie couverture m’ont fait envie. Je devais faire pitié à voir puisque la généreuse Alice m’a gentiment proposé son exemplaire.

À quelques rares exceptions près, tous les billets que j’avais lus faisaient le parallèle avec La route, de Cormac McCarthy (et alors que je cherche à insérer le lien vers mon billet, je me rends compte que je n’en ai pas fait !). Une comparaison écrasante dont j’ai essayé de faire abstraction au moment d’entamer ma lecture, car le combat me paraissait perdu avant même que j’aie ouvert le livre.
Et pourtant, qu’on le veuille ou non, il faut bien en convenir, l’ambiance post-apocalyptique et le couple enfant/parent, rappellent furieusement le roman de McCarthy. Les personnages de La route ont beau être sans cesse sur les chemins, ils n’en sont pas moins condamnés à vivre en vase clos, comme ceux de C. Diehl.
Dans l’un et l’autre des romans, la menace plane ; tout ce qui est étranger au duo est un danger potentiel. Dans les deux cas, l’adulte veille avec amour sur sa progéniture et fait de son mieux pour rendre la situation la moins traumatisante possible.

Une autre analogie se profile à la lecture : une mère et son enfant, cloîtrées entre quatre murs ; une mère débordant d’imagination, qui institue des rituels pour rythmer les jours et créer un environnement rassurant pour son petit, et lui faire oublier la situation précaire dans laquelle tous deux se trouvent… Ça rappellera forcément quelque chose à qui a lu Room, d’Emma Donoghue.

Plus incongru, peut-être, pour certains d’entre vous : j’ai également trouvé dans Enola Game des échos au fameux livre de Philippe Delerme, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules.
Lors de ces courtes heures de la nuit où la jeune femme revit avec nostalgie le temps d’avant la Grande Lumière, et se souvient du plaisir des choses simples (comme le grésillement de ces 33 tours que l’on usait jusqu’à la corde sur sa platine !), des jours heureux et des êtres chers à son cœur. J’ai d’ailleurs trouvé à ces retours en arrière, façon Amélie Poulain, une tendance au « c’était mieux avant », trop prononcée à mon goût.

Alors, une fois balayées toutes ressemblance avec des œuvres déjà existantes, bien évidemment fortuites (certains billets évoquent aussi En un monde parfait, de Laura Kasischke, ou encore Je suis une légende, Richard Matheson), que reste-t-il de propre à Enola Game, outre son jeu de mots, comme un funeste présage qui plane dès le départ sur les personnages ?

Il reste un texte intelligemment construit, à la portée universelle.
En taisant sciemment le caractère exact de la catastrophe (guerre civile ? conflit mondial ? catastrophe nucléaire ? cataclysme naturel ?), en ne révélant jamais clairement la nature des sentiments qui animent les patrouilles (amies ou ennemies ?), Christel Diehl entretien le flou artistique. Elle laisse son lecteur sans repère, elle le place dans une position similaire à celle de ses personnages, lui faisant ressentir la menace et subir comme eux les événements sans pouvoir rien y changer.
Une identification qui a d’autant moins de mal à s’opérer que l’auteur a fait le choix de personnages « anonymes », sans prénom, évoluant dans un lieu tout aussi passe-partout (ville ? campagne ? France ? étranger ?).

Enola Game se distingue également par son style incontestable : Christel Diehl peaufine ses tournures, choisit ses mots avec soin. Rien n’est laissé au hasard, ça se sent.
Et paradoxalement, c’est ce qui m’a le plus gêné dans ce roman. Le texte aurait gagné à plus de sobriété, d’épure, de façon à laisser toute la place à l’émotion. On sent trop le travail derrière chaque tournure, chaque formule, chaque effet poétique. Ça m’a empêché d’entrer complètement dans le récit et de me laisser totalement emporter.

Pour voir et écouter Christel Diehl parler de son roman, c’est ici.

Ce qu’elles en ont pensé :

Aifelle : « Voilà un premier roman à la fois intime et très relié aux peurs de l’époque, de manière subtile. L’écriture est quasiment poétique, délicate, ce qui fait quelquefois oublier la catastrophe en cours. »

Canel : « Une écriture très “efficace”, donc, selon l’expression consacrée, pour un petit livre aussi émouvant qu’angoissant, à lire d’une traite. »

Clara : « La fin inéluctable est un au coup de poing (vous êtes prévenus) et j’ai reposé ce livre bouleversée. Sur des thèmes déjà exploités, l’écriture aux mots choisis, pesés donne une dimension très forte où la réflexion s’invite. »

Daniel Fattorius : « C’est donc à une œuvre d’un grand dépouillement, en phase avec un propos qui bannit tout superflu, que l’auteur invite. »

Kathel : « Je n’ai noté aucune phrase, fait aucun repère dans le livre, tant j’aurais eu du mal à choisir, tant tout sonnait juste à mon oreille, tant l’émotion jaillissait de chaque ligne, de chaque paragraphe. Un texte court, mais fort, à découvrir, assurément ! »

Lystig : « Quand on ouvre ce livre, on ne veut le fermer qu’à la dernière : un “tourne-pages” ou “empêchededormir” ! »

Manu : « L’écriture de Christel Diehl est raffinée et érudite, rendant le récit plus intense encore. »

Midola : « Je suis restée un peu en dehors de cette histoire car raisonnaient encore en moi la lecture de La Route de Cormac McCarthy. (…) Enola Game reste une lecture captivante que je ne saurais vous déconseiller. »

Praline : « Entre flash-back, extraits d’une vie quotidienne entre quatre murs, suppositions sur ce qu’a pu devenir le reste du monde, la narratrice nous émeut, nous touche mais nous fait aussi réfléchir sur notre essence, notre essentiel, notre sens. Sans compter que le tout est porté par un style concis et poétique. »

Stephie : « Ce roman vous prend à la gorge dès les premières lignes. (…) De nombreuses pensées sont d’une justesse aiguë. (…) J’ai beaucoup aimé l’écriture, le balancement des phrases, le choix des mots qui n’hésite pas à l’occasion à les malmener un peu, jouer avec l’homophonie et proposer de belles images. »

Sylire : « On sent au fil des pages que l’étau se resserre et que le plus pénible est à venir… Les phrases sont toutes aussi belles et profondes les unes que les autres. Il est notamment question de l’amour maternel et de la force qu’il donne pour affronter le pire. »

Val : « Christel Diehl écrit là son premier roman dans une langue qui m’a charmée à chaque page, avec des comparaisons toujours justes. »

Véro La Pyrénéenne : « Grande douceur et atroce violence mêlées, un premier roman fort et marquant ! »

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Enola Game, Christel Diehl
Éditions Dialogues (2012) – 126 pages