bizot_avenir Étant donné un lavabo de 10 litres dont le robinet coule à un débit de 5 litres / minute.
Sachant que le lavabo fermé a une fuite qui laisse s’échapper l’eau à un débit de 5 décilitres / minute, en combien de temps le lavabo sera-t-il rempli et la salle-de-bains inondée ?

C’est précisément à cause d’un robinet supposément mal purgé que Paul parcours près de 400 kilomètres, pour rejoindre la demeure familiale, à la demande de son jumeau Odd, dont la lettre l’informait de son désir de disparaître « pour un temps indéterminé ».
« S’il m’avait écrit à moi, et non pas à nos sœurs ou à notre frère Harald, c’est que deux de nos sœurs étaient maintenant focalisées sur leurs mariages, la troisième désormais inatteignable, et qu’il ne savait ne rien devoir attendre de notre frère aîné Harald, l’avocat d’affaires, qui n’a jamais manifesté qu’indifférence à la détresse et mépris à l’échec. Voilà pourquoi notre frère Odd m’avait écrit à moi, et non parce que je suis son jumeau et donc son parent le plus proche, mais c’est parce que je suis son jumeau que j’avais effectué d’une traite et par un temps épouvantable ces trois cents kilomètres, entièrement concentré sur la pensée du robinet. Ayant tardé à repartir, j’étais maintenant bloqué par la neige dans la maison glaciale où je n’étais pas venu depuis des années (…) »

Ahhh, le vélo pliable.

La maison est sinistre et glaciale. Du mobilier aux appareils électroménagers, jusqu’aux fondations, tout tombe en déliquescence, rien ne fonctionne correctement, ajoutant à l’inconfort et au malaise. « Celui qui resterait vivre là était à plus ou moins brève échéance condamné au dépérissement. »
La maison suinte l’ennui, la solitude, le désespoir, la dépression. La folie, même.
Paul se replie dans la bibliothèque où il installe son camp de fortune, empile les couvertures, se nourrit des seules soupes en briques et conserves qu’il a trouvées.

Allongé sur le vieux canapé défoncé, il s’abandonne à ses souvenirs d’enfance, aux réminiscences de sa famille dysfonctionnelle.
Un père, entrepreneur fantasque, et donc malchanceux, qui finira par se faire la belle ; une mère solaire et enjouée, disparue accidentellement.
« Il existe une photo de nos parents prise dans une rue d’Oslo, sur laquelle elle ne semble pas encore effrayée par le regard voilé de notre père, un regard qui n’exprimait rien, même à l’époque de leur rencontre. De notre mère émane cette lumière mate propre à la Norvège et comme une espèce d’insouciance, je suppose qu’alors elle riait beaucoup et que notre père devait en quelque sorte se nourrir son rire, qui le dispensait lui-même du moindre effort de gaieté. »

Et surtout deux frères et trois sœurs aussi différents qu’on puisse l’être, incapables de communiquer et de se comprendre, enchaînés par des liens de sang qui les retiennent tous malgré leur volonté sous un même toit pesant, étouffant.
« Pour autant que je sache, notre frère Odd n’a jamais eu aucun ami, pas plus que moi en réalité, ni bien sûr que notre sœur Margrete, et je crois pouvoir dire que ni Adina ni Dorthéa n’ont eu d’amis, du moins pas avant leur mariage. Margrete a eu ses cahiers et plus tard ses psychiatres, Odd a eu ses chimères et ses ratages, Adina et Dortheéa se sont eues l’une l’autre. Pour Harald, je ne sais pas, notre frère Harald a ses associés. Pour le reste, tout porte à croire qu’Harald a radicalement rompu avec tout ce qui risque de lui rappeler notre famille et l’existence de cette maison, laquelle eut bien, selon lui s’effondrer sur ses bases, et Odd ave, comme je le sais par sa femme avec qui j’ai régulièrement rendez-vous dans une brasserie de Montparnasse. »

Au rythme capricieux de l’esprit vagabond du narrateur, le lecteur navigue d’anecdotes en anecdotes, souvent fragmentaires, parfois absconses, sans réel lien entre elles, si ce n’est cette famille aussi mal en point que la demeure qui l’abritait.
Ainsi, on passe indifféremment d’un accident de téléphérique à une expédition dans la jungle malaisienne, d’un accident de cheval à un enterrement suivi sur un tracteur, d’une demeure perdue en pleine campagne à un luxueux triplex juché sur le rocher de Monaco. À tel point que je me suis souvent perdu dans les méandres de l’esprit du narrateur, me retrouvant déconnecté des névroses familiales et de la succession erratique des événements.

Pour autant, n’allez pas voir dans la purge annoncée dans le titre de ce billet un supposé caractère laxatif du roman mais bel et bien une allusion à ce fameux robinet dont découle (sans jeu de mots) toute l’histoire.
J’ai énormément apprécié le style de Véronique Bizot ainsi que l’ambiance particulière qui se dégage d’Un avenir. Des semaines après ma lecture, je reste marqué par l’atmosphère pesante et la sensation de décomposition générale de ce court roman d’à peine une centaine de pages. Je garde aussi en mémoire le portrait au vitriol de ces citadins désillusionnés, revenus de leur rêve de ruralité, ainsi que d’autres passages tels que celui-ci :
« J’étais inquiet à l’époque, je le suis d’ailleurs resté. Inquiétude dans laquelle j’étais enfant, puis adolescent ne m’a jamais quitté, pas un jour il ne m’a été possible d’en faire abstraction mais j’ai fini par l’envisager comme un inconfort, rien de plus. Cette inquiétude se manifeste à l’improviste et de façon hétéroclite, j’ai noté qu’elle atteint généralement son point culminant quand ma vigilance se relâche et que j’en viens imprudemment à combiner un nombre excessif de motifs de satisfaction, si bien que tout sentiment d’allégresse est chez moi aussi fugitif qu’un appel d’air entre deux trains qui se croisent à grande vitesse. »

Un extrait à lire sur le site d’Actes Sud ou sur le PDF en annexe de ce billet.
Toujours chez Actes Sud, Véronique Bizot présente Un avenir et en lit un extrait.

Ce qu’ils en ont pensé :

Aproposdelivres : « J’ai eu du mal à entrer dans le livre, mais vu le nombre pages, j’ai persévéré et la conclusion m’a surprise… Je ne pense pas garder un grand souvenir de ce livre. »

BMR-MAM : « Il faut se laisser bercer par les longues phrases sans queue ni tête de Véronique Bizot et se laisser promener dans les méandres des digressions et des souvenirs. Jusqu’à une courte fin abrupte et surprenante. »

Café lecture : « Un livre à peine plus imposant qu’une nouvelle mais qui sait nous rester longtemps dans la tête. »

Canel : « Un rendez-vous complètement raté, une énorme déception. Sans doute pas le bon moment pour que j’adhère à ce genre de propos intimiste, qui tourne en rond et ne va finalement nulle part. Ou plutôt, je dois désormais manquer de patience pour ce style – définitivement plus pour moi. »

Cathulu : « Il faut accepter de perdre ses repères pour embarquer dans le récit de Paul et le laisser décanter pour mieux le savourer. »

Céline P. : « C’est une histoire assez sombre, à l’atmosphère pesante à nouveau et je dois dire que je suis passée à côté du côté “amusement”. Et puis, je n’ai pas pu m’attacher au héros. »

Chiffonnette : « C’est noir, c’est grinçant, c’est déstabilisant (…) Comme dans Mon couronnement, l’humour se mêle au désespoir et de petites bouffées d’air parsèment le récit, l’espoir que les choses puissent changer pointe le bout de son nez. »

Clara : « Une forme de douce mélancolie ressort de cette lecture, empêchant le lecteur de s’apitoyer et l’invitant au voyage et à l’introspection. »

Encres vagabondes : « Ce roman est riche d’une force de vie. L’étrangeté des situations donne tout son intérêt à la lecture. L’originalité de l’approche de Véronique Bizot sait nous ravir. »

Flora : « Ce roman se lit d’un trait, il nous laisse l’impression qu’une noirceur irradie tous les hommes mais que chacun s’emploie, du mieux qu’il peut, à la cacher aux regards des autres. »

Gambadou : « Un bon petit livre, une écriture qui sort de l’habitude. Un livre dont j’aurais sans doute peu de souvenirs mais qui m’a donné un bon moment de lecture. »

La cause littéraire : « Plus que des intrigues, les anecdotes – à l’intérêt variable – se multiplient, mais à trop se disperser, on finit par se perdre quelque peu. »

Le littéraire : « Il faut savoir décrocher du réel. Oublier le bruit dans la rue et se pencher sur un livre. Découvrir un texte. Savourer sa fluidité. Ne plus s’encombrer des normes. Et prendre du plaisir à. Lire, l’avenir de l’homme… »

Luocine : « La famille à la destinée tragique ne m’a guère passionnée. Bref c’est un livre sur l’ennui, avec un personnage central peu accroché à la vie. Du coup je n’y suis ennuyée et je n’ai pas accroché. »

Mango : « Dommage que cent pages, ce ne soit jamais assez pour moi, bien que de plus en plus à la mode, ces courts récits ne sont ni tout à fait de vrais romans ni tout à fait des nouvelles non plus mais, à part cette restriction, j’ai plutôt apprécié ce livre. »

Mélopée : « J’ai suivi la déambulation du narrateur avec ce pincement au cœur, ne sachant le dénouement, et une pointe de joyeuse impatience. »

Moon : « “Un avenir” est une histoire de famille dont la noirceur est délicieuse parce que toujours saturée d’incongruité drolatique, de lucidité étonnée, de souriant désarroi et de métaphysique légèrement récalcitrante. »

Praline : « Une action très réduite. Une écriture précise. Un personnage flou. Une atmosphère oppressante. Lu rapidement parce que court mais qui ne laissera pas un impérissable souvenir car trop nuageux pour moi. »

Ritournelle : « Une histoire qu’on ne lâche pas, portée par un style précis qui met en évidence bien des résonances pour le lecteur. »

Sébastien : « Véronique Bizot livre un second roman irrésistible, Un avenir, dont le pessimisme ambiant et l’atmosphère noire, toujours décalés, servent de support à la naissance d’un espoir, même infime : celui de dépasser la lucidité froide et les névroses personnelles pour s’affranchir des pressions sociales et familiales, et trouver, au fond des saccages égotiques, la force de se réaliser. »

Sylvie T. : « Je ne peux pas dire que j’ai véritablement aimé ce roman (…), mais c’est un style qui interpelle et qui se laisse lire. »

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Un avenir, de Véronique Bizot
Actes Sud (2011) – 104 pages