« La route est longue pour un homme qui marche. »
Certains ont des cailloux dans leurs chaussures qui les gênent pour marcher.
Antoine, lui, a un caillou au cœur qui l’empêche d’avancer plus loin dans la vie.
Les longs déplacements urbains entre son domicile et son lieu de travail lui pesaient tellement que le designer industriel italo-argentin Agustin Augustinoy a créé son propre vélo pliable.
« Défense de déposer des ordures »
Alors qu’il sait ses jours comptés, une simple inscription sur une palissade enjoint Antoine à planter femme et fils, et à partir sur les chemins, de Saint-Malo aux Saintes-Maries-de-la-Mer, pour tenter de comprendre son enfance et se réconcilier avec lui-même.
Conte de fée moderne, Les hommes sirènes parle d’ogres, de loups, d’enfant-nuage, de bonne fée, de sorcier, de château hanté, de damoiselle aux senteurs de géranium. Mais ce conte-là est sinistre et cruel.
Dans une grande demeure aux 113 fenêtres vivaient les Ténébreux, aussi appelés les « Alpha », un frère et une sœur, Eli et Ève Eckert. Dévastés par les camps d’extermination dont ils avaient réchappé, les Eckert formaient un couple étrange, exempt de la moindre trace d’émotion et d’affection. À part, peut-être, pour leurs effrayants molosses. S’ils avaient voulu devenir « parents » en adoptant un jeune indien, un enfant-nuage, ce n’était rien que pour le conditionner, en faire un instrument au service de leur funeste dessein.
Dans l’atmosphère lourde et malsaine de ce foyer morbide, l’enfant trouvait le réconfort auprès d’Eugénie, la cuisinière, qui l’abreuvait de son amour généreux et de ses bondieuseries, tandis que le vieux rebouteux, qui vivait en ermite dans une cabane au fonds des bois, faisait son éducation et lui apprenait la sagesse.
Cette enfance hors du commun, c’est celle, bien réelle, d’Antoine.
Au fil de son périple et de ses réminiscences, il va la reconstituer, depuis son arrivée chez les Eckert jusqu’à l’exécution de l’acte pour lequel il a été programmé. Quitter sa peau d’Antoine pour celle d’Abhra, son vrai prénom qui signifie “nuage” en sanskrit
La quarantaine venue, tout quitter pour partir à la découverte de ses racines et trouver le chemin de la rédemption. Le prétexte à littérature choisi par Fabienne Juhel n’a rien d’original.
Et pourtant Les hommes sirènes est un roman singulier à bien des égards. Principalement par son atmosphère onirique déroutante, sa frontière floue entre rêve et réalité qui nimbe le récit de mystère. Un mystère rendu plus opaque encore par une trame narrative fragmentaire pas du tout linéaire, ni chronologique, et par un style maniant poésie et symbolique.
Il faut aimer se perdre un moment dans un texte pour mieux s’y retrouver ensuite. J’ai éprouvé quelque difficulté à suivre les pas d’Antoine. À chaque fois, c’est le style de Fabienne Juhel qui m’a persuadé de continuer le chemin, tant elle sait faire rimer beauté et abjection, humanité et insensibilité, imaginaire et réalité crue. Chacun à leur manière, les Eckert, Brian et Eugénie sont des personnages mémorables.
Malgré les indéniables qualités de ce roman, l’omniprésence du symbolisme dans le récit m’a d’abord lassé, puis a fini par m’agacer. Vers la fin, je n’ai pu contenir une grimace quand entre en scène Suzanne Nour, personnage qui va rendre l’espoir à Antoine… et dont le nom signifie “lumière” en arabe ! Pour moi, c’en était trop.
Dommage, car mon impression générale s’en est trouvé affadie : j’ai refermé le livre avec à l’esprit l’image de ces boute-en-train qui se croient obligés de faire suivre leur blague d’un clin d’œil appuyé, comme s’ils craignaient qu’elle soit trop faible pour faire mouche ou que leur auditoire soit trop crétin pour la comprendre.
Les premières pages à découvrir en ligne ou sur le PDF en annexe de ce billet.
Interview vidéo de Fabienne Juhel sur Myboox
Ce qu’elles en ont pensé :
Honneur à Clara, dont le billet passionné m’a donné envie de découvrir ce roman et son auteur : « Il s’agit d’une lecture magnifique, aux accents atypiques, puissante. C’est tout simplement sublime… Un gros coup de cœur ! Un livre dont on ne sort pas indemne… »
Chiffonnette : « On est pris dans les rets d’un récit où les moments de grâce, les petits bonheurs, l’espoir alternent avec l’horreur et la violence, ou la beauté, la poésie de la langue sortent renforcés de leur confrontation avec ce que l’humain a de plus sombre. Avec toujours, cette part de rêve, d’onirisme parfois qui donne le sentiment par moment de lire un conte où les loups ne sont pas toujours ce que l’on croit. Magistral donc, et très fortement conseillé. »
Constance93 : « Une belle réussite et une écriture toujours aussi efficace, sachant montrer la complexité du monde et des sentiments d’une manière presque magique. »
Fabienne : « Contrairement aux apparences, ce livre est porteur d’espoir, le parcours d’Antoine est initiatique et le conduira vers la lumière. »
Fransoaz : « Un livre surprenant et envoûtant. L’écriture poétique de Fabienne Juhel prend sa source dans la lumière naturelle; c’est une écriture inventive et imagée. »
Gwenaëlle : « Plus qu’une lecture, c’est une aventure et une expérience. Un moment magique. Une plongée en apnée dans une langue belle, riche, infiniment nuancée… Entre tous ces éléments, le dénominateur commun, c’est l’humanité, parfois cruelle mais aussi belle et profonde. Un livre à garder précieusement à son chevet pour y replonger sans jamais se lasser. Un de ces livres rares qui marquent durablement… »
Mango : « C’est un très beau récit, plein de douleur, de noirceur mais aussi d’humour, d’amour, de sensualité et de lumière. »
Oops : « Il est difficile de parler de ce roman sans trop en dire, construit comme un conte avec tout le côté mystérieux qui peut en découler, chacun en retirera ce qu’il voudra. En tout cas, l’écriture de l’auteur ne peut laisser indifférent, une espèce d’aura se dégage tout au long de ce livre et les êtres sensibles ne pourront que s’immerger ! »
Orchidée : « Fabienne Juhel arrive à se faire côtoyer le dur, l’horrible avec la magique et le majestueux. Un très beau roman atypique. »
Pascale : « Une lecture comme une étoile pour contempler la beauté de ce roman sans s’offusquer des ténèbres de la nuit. »
Sandrine : « Fabienne Juhel est très forte, elle a réussi à me faire aimer un livre poétique, un peu fantastique avec un langage très riche et très imagé. »
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Les hommes sirènes, de Fabienne Juhel
Éditions du Rouergue / Collection La Brune (2011) – 300 pages