Power_House_Mechanic_by_Lewis_Hine_1920.

Powerhouse mechanic working on steam pump, 1920 (Mécanicien à la pompe à vapeur dans une centrale électrique)
© Lewis Hine / Collection George Eastman House, Rochester

vélos pliants proposé sur le blog Cyclable.

Qui ne connaît pas cette photo ?
Chaplin qui s’en est inspiré pour ses Temps modernes a largement participé à sa diffusion.
En revanche, on connaît peut-être moins son auteur, Lewis Wickes Hine (1874-1940), et le reste de son œuvre.
Tout du moins était-ce mon cas jusqu’à ce que j’aille voir les 150 clichés originaux en noir et blanc de Lewis Hine présentés jusqu’au 18 décembre 2011 à la Fondation Henri Cartier Bresson, à Paris.

Travail des enfants (dans les champs de coton, les mines de charbon, les filatures, les rues…), des hommes et des femmes dans l’industrie naissante, vie dans les quartiers ouvriers de Chicago et de New York (dispensaires, taudis, queues devant l’agence pour l’emploi…), situation des noirs américains…
Considéré comme un des pionniers de la photographie sociale et documentaire, voire le premier, Hine a passé sa vie, appareil photo en main, à dénoncer les inégalités sociales, à témoigner des conditions de vie de la classe ouvrière en ce début du XXe siècle.

Issu d’un milieu modeste, Hine sait de quoi il parle. A dix-neuf ans, quand son père meurt, il est obligé de subvenir aux besoins de sa mère. En même temps qu’il suit des cours du soir, il travaille notamment dans une usine de meubles ou comme portier dans une banque. Il poursuit néanmoins ses études et après avoir quitté son Minnesota natal, il sera engagé comme professeur assistant en biologie et en sciences naturelles à la New York Ethical Culture School. C’est le directeur de cette école progressiste qui incite Hine à s’intéresser à la photographie.

En 1903, Lewis Hine initie sa série de portraits d’immigrants, familles tout juste arrivées d’Europe à Ellis Island pour recommencer leur vie dans le Nouveau Monde (lire plus bas la lettre de L. Hine à ce sujet). Plus tard, il s’engagera auprès du National Child Labour Committee et, en pleine révolution industrielle, dénoncera les conditions de travail des enfants.
Après la première guerre mondiale, il parcourt l’Europe pour le compte de la Croix-Rouge. Dans les années 30, il réalise une série de portraits d’ouvriers à leur machine, Men at work. Dans la foulée, en 1932, il est nommé photographe officiel de la construction de l’Empire Building. Pour rendre compte de la dangerosité du travail des ouvriers, en équilibre sur les poutrelles ou suspendus dans le vide, Hine n’hésite pas, à 57 ans, à s’arrimer à un câble avec son encombrante chambre photographique, se retrouvant, comme ces hommes, plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol.

Si la plupart de ces clichés possèdent d’indéniables qualités esthétiques, là n’est pas le souci de Lewis Hine dont la seule volonté est de témoigner et dénoncer la réalité sociale. « Plus réelles que la réalité elle-même », ses photographies ne sont pas prises sur le vif ; ce sont de véritables compositions, mises en scène pour rendre son message plus percutant, plus convaincant. Pour autant, jamais il ne verse dans le misérabilisme ou le “tire-larmes” faciles. Respectueux de ses sujets, il pose sur eux un regard humaniste et les présente toujours dignes, humains et, par conséquent, touchants.

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Reliure toilée, papier épais, reproductions impeccables, le catalogue de l’exposition Lewis Hine (1874-1940) est superbe, d’une qualité bien supérieure à la plupart des catalogues d’exposition (et pas plus cher pour autant).

Les photographies y sont présentées selon l’ordre et les thématiques de l’exposition : Ellis Island, Taudis, Travail des enfants, Pittsburgh, Chicago & New York, Europe, Homme au travail, Noirs américains, Empire State Building, Filature de Shelton, New Deal.
La bonne idée est d’avoir ajouté la reproduction en facsimilé de Men at Work, le seul ouvrage paru du vivant du photographe, en 1932.

Le dossier de presse de l’exposition Lewis Hine à la Fondation Henri Cartier Bresson.
Le site web de la Fondation Henri Cartier Bresson.
Le site du magazine Le Point propose un diaporama d’une douzaine de photographies.
À travers l’exemple du Powerhouse Mechanic, M. Wooter, archiviste au George Eastman House International Center of Photography and Film montre comment la photo a été mise en scène par Lewis Hine (vidéo en V.O.).

Plaisirsacultiver et Carmadou ont également vu – et apprécié – cette exposition.

Lewis Hine (1874-1940), d’Alison Nordström
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Hortense Lyon
TF Editores (2011) – 264 pages


« Ayant récemment exhumé les fossiles d’anciens souvenirs (les miens et ceux de témoins oculaires), j’arrive maintenant à reconstruire un peu mieux les premières années héroïques de ces missions documentaires.
Mon appareil était un boîtier modifié sans dos amovible et quand on voulait faire successivement une photo horizontale puis verticale, il fallait dévisser le boîtier et le tourner dans le bon sens. L’appareil était équipé d’un objectif rectilinéaire rapide avec un vieil obturateur à piston. Tout le monde utilisait des films mais moi, je ne sais pour quelle raison, j’ai commencé par travailler avec des plaques, peut-être parce que l’un de nos fournisseurs savait se montrer très persuasif pour nous vendre son matériel. Quoi qu’il en soit, ces plaques étaient terriblement lentes et peu sensibles, et avec les supports et le reste de l’équipement, cela faisait un poids lourd à porter pour un poids plume comme moi. Il fallait que le trépied soit léger, et donc fragile et instable pendant la prise de vue.
Le flash était un composé de magnésium et d’accélérateur, la proportion de ce dernier étant calculée en fonction de la vitesse désirée, compte tenu de la lenteur du premier. Sans oublier que cela devenait plutôt dangereux quand le flash décidait de se déclencher prématurément ou bien que le mélange se mettait à durcir et arroser tout le monde d’une pluie d’étincelles. Maintenant, imaginez-nous en train de jouer des coudes à travers la foule d’Ellis Island pour essayer d’arrêter le flux des égarés circulant dans les couloirs, les escaliers et dans tous les coins, pressés de trouver leur chemin et d’en finir. Nous avisons un groupe qui nous semble prometteur, nous les arrêtons et leur expliquons avec des gestes que ce serait très aimable à eux de s’immobiliser, juste un moment. Autour de nous la marée humaine continue à bouillonner, souvent pas très respectueuse de nous, ni de nos appareils. On fait la mise au point, sur du verre dépoli bien sûr, ensuite en espérant que les gens ne bougent pas, on prépare le flash. Un petit réceptacle sur une tige creuse verticale avec un piston dans lequel on insérait un petit bouchon de papier, ensuite on versait de la poudre sur le plateau, en fonction des besoins du moment et de la situation.
Entre temps le groupe avait bougé et il fallait se dépêcher de refaire la mise au point pendant que quelqu’un tenait la lampe. L’obturateur était fermé bien sûr, la plaque insérée dans son châssis et le capuchon retiré, alors, généralement, une fois la lampe récupérée, le vrai travail pouvait enfin commencer. À ce stade, les gens avaient l’air hébété ou pétrifié ou pleuraient de rire parce que les spectateurs n’avaient pas arrêté de leur lancer des blagues et de faire des commentaires, le summum étant le moment où vous leviez le flash dans leur direction et où ils attendaient paralysés le moment de l’explosion.
Je déployai simultanément les talents d’un hypnotiseur, d’un super vendeur et d’un lanceur de base ball pour les préparer à jouer le jeu, et ensuite pour les prendre de vitesse afin que la plupart d’entre eux ne grimacent pas ni ne ferment les yeux au moment de la prise de vue. »

Lewis Hine – Lettre à Elizabeth McCausland, 23 octobre 1938