premier-ete-percin « Tous les crève-cœur de l’enfance sont des douleurs saignantes qui se referment et laissent des cicatrices. La sagesse n’est rien d’autre qu’un réseau de stigmates. »

Après s’en être tenue éloignée des années durant, Catherine, la trentaine, est de retour avec Angélique dans le village où leur grand-mère vient de mourir. Les deux sœurs sont venues vider les lieux, faire le tri dans les souvenirs qui peuplent encore la maison bientôt mise en vente.
« Je n’ai jamais douté que j’avais des racines, moi. Je ne les ai jamais arrachées. Tout juste ai-je tiré parfois sur certaines lianes qui me gênaient, qui m’empêchaient d’avancer. »
Revenir sur les « lieux du crime » ravive chez Catherine le douloureux secret qui la dévore depuis l’été de ses seize ans. Pour la première fois, elle choisit de s’en ouvrir auprès de sa sœur et de partager sa culpabilité et ses remords.
« A seize ans, la peau n’est pas un rempart assez solide pour se passer de carapace. Il faut des déguisements, des masques, pour supporter le regard des autres sur soi alors qu’on ignore totalement à quoi on peut ressembler. »
« Ma seule excuse, c’est le monde dans mon dos. »

Enfants, Catherine et Angélique passaient leurs vacances d’été à la campagne chez leurs grands-parents.
Chaque année, il leur fallait se ré-acclimater aux visages croisés dans les rues du village, ré-apprendre à oublier les regards curieux qui vous rappellent que vous n’êtes pas vraiment du village, redevenir le temps des vacances « la » Catherine, « la fille des Valette ».
Catherine savoure ces journées où le temps s’étire doucement, entre cueillette des haricots dans le potager, après-midi à la piscine municipale et longues heures de lecture dans la touffeur silencieuse du grenier.

De deux ans son aînée, Angélique, elle, attend avec impatience qu’arrivent les enfants de la colonie dont l’effervescence bouscule le village endormi.
Colons et jeunes du village se jaugent ; garçons et filles s’apprivoisent, se séduisent. Pendant les jeux de plein air façon Intervilles les clans se forment. Les couples aussi, à la piscine ou lors des boums.
Plus réservée qu’Angélique, Catherine semble étrangère à ces passions adolescentes. Jusqu’à ce qu’au détour d’une balade dans les champs, elle croise le chemin d’un garçon qui bouleversera sa vie.
« Quelque chose venait de mourir, quelque chose était mort cet été-là. Je n’aurais pas su dire quoi et pourtant je n’ai jamais rien senti avec autant de force et de conviction. »

Nouveau roman d’Anne Percin, Le premier été s’annonce comme une chronique nostalgique d’une adolescence passée au cœur des années 80. Ces années où la frimousse de Sophie Marceau dans La boum rayonnait en une de OK ! et de Podium, où Etienne Daho, les Rita Mitsouko, Niagara, Téléphone, Madonna trustaient le Hit Parade Europe1, et l’affaire Grégory toutes les conversations, quand les piscines étaient Tournesol et les salopettes Naf-Naf le top de la branchitude…
Bref, des vacances insouciantes, placées sous les auspices du Grand Meaulnes et des histoires sentimentales de Bonne Soirée, des amitiés et des premiers flirts, comme peut en vivre tout un chacun. Le temps des premiers émois amoureux, des amours naissantes, de la découverte du corps de l’autre, mais aussi de l’éveil de son propre corps.
« La vraie découverte, ce n’est pas le sexe de l’autre, c’est le sien (…) C’est comme découvrir une nouvelle pièce dans la maison où on habite depuis toujours. »
Comme toujours chez Anne Percin, c’est finement observé, ça sonne juste, ça invite à se replonger dans sa propre expérience, dans son vécu intime.

Après la belle rencontre avec Bonheur fantôme il y a deux ans, Dieu sait si j’avais placé de grandes attentes dans Le premier été. Et, au fond, je dois reconnaître que j’étais un peu déçu. J’avais le sentiment d’avoir déjà lu plus ou moins la même chose ailleurs et je ne voyais pas très bien où tout ça allait mener. Ou plutôt si, je le voyais trop bien.
Et alors que je commençais à trépigner, VLAN !, je me suis pris un coup si violent que j’en suis resté K.O. un moment, la gorge nouée. Sans exagérer.
Pauvre crétin prétentieux, j’avais tout faux. Je n’avais rien vu venir et je venais de me faire cueillir en beauté !

Prenez garde, ne sous-estimez pas le talent d’Anne Percin. Ne vous laissez pas abuser par les faux airs de bluette adolescente de son Premier été, c’est un roman vénéneux. Celui d’un été meurtrier, écrasé de soleil, où l’innocence se fracasse sur la cruauté et la perversion. L’été des choix, du sacrifice et de la trahison. Il y a de Sa majesté des mouches de William Golding dans Le premier été.

Hormis son atmosphère pesante, sa tension qui monte en puissance, Le premier été marque aussi par la sensualité palpable qui s’en dégage.
Une sensualité charnelle, brute, presque sauvage, sans arrière-pensée ni honte, où la chaleur de l’été exalte les peaux, les odeurs… où une pomme d’Adam « grosse comme un œuf », un goulot de cannette de bière, se voient ainsi chargés le plus naturellement du monde d’un érotisme torride. « Le garçon le plus sauvagement doux de la Création » restera pour moi l’un des plus enivrants qu’il m’ait été donné de rencontrer en littérature.
(A mon avis, il est préférable de lire l’extrait qui suit une fois qu’on a lu le roman. Maintenant que vous êtes prévenu, vous faites comme vous voulez.)

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« Alors soudain je l’ai vu. Tout entier sous le soleil.

Il avait les yeux fermés. Comme un blessé, à qui les coquelicots faisaient des blessures en fleurs. Mais celui-là vivait, il vivait de toutes ses forces. Je voyais ses côtes se soulever au rythme de sa respiration. Sa peau était dorée, d’une couleur de pain qui sort du four. Son visage était souriant et calme. Sans doute, ce n’était pas un homme. J’avais pu le croire, de loin, à sa silhouette trapue, à ses membres noueux de cheval de course. Mais c’était encore un garçon. Ça se voyait à son visage, sans pli, sans ombre. Je le voyais respirer ; son buste renversé, presque exagérément tendu en extension, soulevait sa poitrine. De larges mamelons bruns dessinaient sur elle des cercles qui avaient l’air de fleurs.
A présenter les choses ainsi, je sens bien que cela donne envie de sourire. Et pourtant, s’il y a bien une chose dans cet été-là qui ait encore un sens, et je ne veuille pas voir salie, c’est ce souvenir. Tout le reste, c’est un gâchis, mais pas ça. »

Après ‘Bonheur fantôme, c’est donc le deuxième été que je passe en compagnie d’Anne Percin. Et quel été ! Chargé d’émotion, son nouveau roman est le récit d’un beau gâchis qui va laisser une marque indélébile sur ses protagonistes.
Au lecteur qui imagine se désaltérer d’un soda un peu douceâtre, Le premier été laissera un goût amer de bile au fond de la gorge.
Un roman brillant et durablement dérangeant.

« Comment font les gens qui n’écrivent pas, pour se racheter ? » Sur son blog, Anne Percin livre quelques clés sur la genèse de son roman.
Le clip de Back to the old house, chanson des Smiths qui donne son titre à ce billet.

Ce qu’ils en ont pensé :

Clara : « Anne Percin excelle à sonder l’indicible des émotions et des tourments. Remarquable ! »

Cuné : « Ça touche en plein cœur et ça fait un mal de chien. Affreux, affreux, affreux, on gémit même, ouch, très très bien joué, bravo, c’est malin, tiens. »

Griotte : « Un roman que j’ai apprécié pour son écriture et ses personnages. »

Liliwenn : « Anne Percin manie à la perfection les tourments de l’âme et du corps. Un roman perturbant et fort. »

Lunasirius : « Anne Percin, nous offre une histoire bien construite où les émotions sont au rendez-vous. Ce roman nous laisse encore une étrange impression, une certaine pesanteur, une fois refermé. »

Et toujours Babelio

Le premier été, d’Anne Percin
Au Rouergue / Collection La brune (2011) – 163 pages