magellan-refrain-murs « Combien sommes-nous à observer, passifs, les acteurs du monde en se demandant comment ils font, tous ?
Combien sommes-nous à juger avec mépris cette agitation justement pour ne pas risquer d’en être ?
Nous, les immobiles. Aux rêves intérieurs. Aux audaces muettes. Aux terreurs enfouies. »

Surtout ne pas se faire remarquer, ne pas attirer l’attention sur soi, être la plus transparente possible, passer entre les gouttes, ne pas provoquer l’imprévu…
A la maison comme au lycée (où elle est prof de physique), Isabelle traverse sa vie, personnelle et professionnelle, les épaules rentrées.
« Les mots me hantent à longueur de journée, en valse incessante. Mais lorsqu’il s’agit de les amener dehors, ils me paraissent vains, de fumeuses musiques de restaurants, qui inondent et embrouillent.
J’admire les bondissants. Ceux qui slaloment entre les actualités, la culture, les faits divers, tels les skieurs chers à Adrien, effleurant les piquets du parcours comme s’ils l’avaient déjà repéré. Je suis dénuée de toutes ces aptitudes souples et loquaces. »

Les vélos électriques pliants sont parfaits pour se déplacer en ville.

En ce tout début du mois d’août 1987, ses deux jeunes enfants, Adrien et Romane, sont partis pour les vacances chez leur père et sa nouvelle compagne. En leur absence, elle avait prévu de rester au chevet de sa mère, en traitement pour un cancer. Mais celle-ci lui fait faux bond au dernier moment, préférant retrouver un ancien amour de jeunesse de passage en France.
Et voilà Isabelle livrée à elle-même. A quoi va-t-elle bien pouvoir occuper ses journées ? La perspective de devoir passer quatre semaines, seule, sans projet précis, la terrifie. Août à peine entamé elle se prend déjà à souhaiter le retour de ses enfants et la routine de la rentrée.

Alors qu’elle erre en ville, un air de hautbois attire son attention sur un jeune musicien de rue. Charmeur et entreprenant, le jeune homme a du bagout. Tenace, il parvient à briser la cuirasse d’Isabelle, à échanger avec elle quelques mots et finir par lui proposer de réaliser gratuitement pour elle de menus travaux de bricolage contre un hébergement jusqu’au retour de ses enfants.
Le deal n’est pas banal mais la situation ne l’est pas non plus. Au cœur de l’été, Isabelle se sent désespérément seule, et la chambre de Romane a grand besoin d’un coup de peinture fraîche et d’une tapisserie neuve. D’ordinaire bourrée de principes, la jeune femme austère et craintive se surprend à accepter, décontenancée et troublée par la personnalité de celui qui se fait appeler So What.

Longtemps, Adrien et Romane ignoreront tout de cet épisode de la vie (trop) rangée de leur mère.
Vingt-trois ans plus tard, Romane revient dans l’appartement d’Isabelle récemment décédée. Dans la chambre de son enfance, elle fait une découverte qui va remettre en question nombre des certitudes qu’elle avait sur sa mère.

Une femme un tantinet coincée, un peu fadasse, sans réelle personnalité, qui voit sa vie bouleversée par l’irruption d’un personnage affranchi et fantasque au contact duquel elle va sortir de sa chrysalide, se révéler et mordre la vie à pleines dents. Un refrain sur les murs n’aurait rien de remarquable s’il n’était que cela.
Et en toute franchise, c’est bien ce que j’ai cru dans les premiers temps. Car c’est d’abord la voix d’Isabelle que Murielle Magellan nous donne à entendre. Puis, à l’occasion d’un saut dans le temps, Romane prend la parole. On réalise peu à peu que ce qu’on avait pris pour la gentille mais banale romance d’une quadra solitaire et inhibée est – surtout – une jolie réflexion sur les relations complexes mère/fille, un récit sur les surprises que nous réservent les personnes de notre entourage, même les plus proches.

Depuis sa jeunesse, Romane s’est construite en totale opposition à sa mère, rejetant en bloc sa réserve, ses principes étriqués, sa vie terne et insipide.
« Oui, je l’ai admirée, ma mère. Petite, et puis quelques années encore. Jusqu’à ce que ses quinze tonnes de banalités me sautent à la figure. Icône de l’incapacité à bousculer, à désobéir, à mordre. L’anonymat érigé en victoire. »
« Notre mère a toujours été, toujours, une femme rentrée dans le rang, disciplinée comme un petit soldat, aux ordres de ses enfants, de son mec, des trottoirs et des lignes blanches, des feux rouges et de tout ce qu’on nous impose à coup de barres de fer invisibles. Elle est passée dans la vie comme une ombre. Tête basse. »
Tempérament rebelle à fleur de peau, toujours en colère, elle fonce, ose, n’a peur de rien quitte à se brûler les ailes. En envisageant Isabelle sous un jour nouveau, elle va se découvrir avec elle de troublantes similitudes : la quête du bonheur, le besoin de se sentir en vie pour repartir de plus belle dans l’existence. A l’issue de son séjour, Romane trouvera enfin l’apaisement et se réconciliera avec sa mère.

Dans Un refrain sur les murs, Murielle Magellan fait preuve d’un réel talent de dialoguiste et du sens de la narration [1], qui évite aux personnages et à certaines situations de sombrer dans la caricature.
Roman sur ce grain de fantaisie qui rend plus belle et plus légère la vie, Un refrain sur les murs est une douce et agréable lecture dans laquelle on se love volontiers, de celles qui font du bien quand on les lit. Et même si on sait qu’elles ne resteront pas forcément en mémoire, pourquoi bouder son plaisir ?

Dans cette vidéo , Murielle Magellan évoque ses personnages.
La page Facebook de l’auteur.

Ce qu’elles en ont pensé :

Brize  : « Un refrain sur les murs est un roman tout en vivacité et légèreté, mais quoi de plus efficace pour parler de choses graves, comme l’aptitude à vivre ? Sa petite musique vous met souvent le sourire aux lèvres, vous prend au cœur parfois et elle ne vous lâche pas, du début à la fin… »

Chiffonnette  : « Murielle Magellan a sa musique bien à elle, sa manière de raconter deux histoires de vie, deux parcours de femmes qui finissent par se trouver et se réconcilier avec le monde qui les entoure. »

Clara  : « J’ai aimé ce livre. Je le dis directement sans essayer de faire une belle introduction ou d’enrober mes mots. Un livre hérisson tant j’y ai inséré de marque-pages ! »

Delphine  : « Une écriture originale à mon sens qui ravira ou laissera de marbre. »

Leiloona  : « Un refrain sur les murs est tout ce que j’aime lire : une ode à la vie, des personnages qu’on voudrait connaître, un style accrocheur et musical. »

Mango  : « Voilà bien longtemps que je n’avais pas eu un pareil coup de cœur (…) Un grand grand roman, tout simple pourtant mais qui m’a fait rêver tout en m’étonnant ! »

D’autres avis chez Babelio .

Un refrain sur les murs, de Murielle Magellan
Julliard (2011) – 252 pages

Notes

[1] J’en ai regretté d’autant plus vivement, à plusieurs reprises, la présence de figures de style vaines (antanaclases ?) qui desservent le texte plutôt qu’elles ne l’enrichissent : Out. Août. (p.27) / Mon inertie haïssable devenait ma force. Mon axe. Max. (p.60) / Rire d’homme mordant, mors aux dents (p.61), ou certaines fautes d’orthographe grossières, comme pics au lieu et place de piques (p.80) ou boolshit au lieu de bullshit (p.193). Si je semble pinailler, c’est que, comme le ferait une étiquette trop raide à l’encolure, ils m’ont irrité alors que j’étais confortablement pelotonné dans le récit comme dans un vieux pull.