Gallienne-Guillaume-table Suite au passage de Guillaume Gallienne à La grande librairie en juin dernier, où sa lecture de Proust m’avait scotché, certains d’entre vous avaient eu pitié de mon inculture et m’avaient signalé l’existence de son émission sur France Inter.
Abonné depuis aux podcasts, plus question pour moi désormais de rater un seul épisode de Ça peut pas faire de mal (je bénis même cette période de vacances où sont rediffusées des émissions antérieures à mon abonnement, même si ces derniers temps, il semble y avoir des ratés).

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Alors quand j’ai vu que Guillaume Gallienne reprenait sa pièce Les garçons et Guillaume à table !, à l’Athénée, je me suis précipité pour réserver des places. Et bien entendu, le reste de la capitale étant bien plus avisé que moi, il n’en restait plus une seule de disponible…
Peu tenté par l’option « Se présenter une heure avant le spectacle en comptant sur l’étourderie d’un spectateur », et en attendant la sortie éventuelle en DVD d’une captation du spectacle, il ne me restait plus qu’une option : me précipiter sur le texte.

Dans ce texte à haute teneur autobiographique, suite (cohérente) de sketches, Guillaume Galienne revient sur le « drame » de sa vie : sa relation ambiguë avec sa mère, cette mère qu’il aime follement et qui se comporte avec lui si différemment qu’avec ses deux frères qu’il s’imagine qu’il est une fille !
« D’ailleurs, je ressemble tellement à ma mère, et je parle tellement comme elle, que quand je suis invité à l’anniversaire d’un autre élève de ma classe, je passe toute l’après-midi à prendre le thé avec sa maman et ses copines. »

Alors, comme toutes les petites filles de son âge, le petit Guillaume se rêve tout naturellement princesse :
« L’autre soir, j’étais en train de jouer à Sissi et sa belle-mère, l’archiduchesse Sophie… C’est marrant, il y a des enfants pour qui Sophie c’est une girafe en plastique, pour moi ça a toujours été l’archiduchesse dans Sissi ! Elle est sublime l’archiduchesse, elle est à cheval sur l’étiquette… Bon, elle est un peu sévère, un peu dure parfois, mais tellement élégante, et elle a un tel sens du devoir…c’est difficile pour elle aussi. Enfin bref, j’étais dans l’antichambre de Sissi, en pleine audience privée :
– Mon enfant, il faut que je te parle. Approche que je t’examine ! Je te trouve une très mauvaise mine, tu es pâle, tu es verte ! Tu devrais prendre l’air, faire du cheval !
– Ma mère, je veux quitter Vienne et la cour, je ne supporte plus le poids de l’étiquette, je n’y trouve pas l’amour et la tendresse dont j’ai besoin !
– Cesse de t’apitoyer sur toi-même. Tu es impératrice d’Autriche, il est bien question de tendresse. Je n’aime pas ta façon de parler, quel langage !
– Mais ma mère…
– Ne m’interromps pas quand je parle ! La cour d’Autriche suit une étiquette très stricte qui nous vient d’Espagne, c’est le cérémonial de Charles Quint, nul ne peut s’y soustraire…
Et là, mon père est entré dans ma chambre sans frapper, alors du coup je lui ai sauté au cou en disant :
– Oh mon Papilly, emmène-moi dans la forêt !
Il a fait un de ces têtes !!! »

De l’enfance à l’adolescence, les malentendus de ce genre se multiplient. Si Guillaume danse admirablement bien la sévillane, il la danse comme le lui a appris son amie Paqui lors de son séjour linguistique en Espagne : comme une femme ! Ce qui lui vaut bien des railleries de la part des ibères hilares.

Plus tard, il sera souvent en décalage par rapport à ses camarades de classe en raison, par exemple, de son rapport, disons difficile, avec le sport :
« Ah, et puis le sport… j’ai essayé… non, vraiment. Bon, déjà en Angleterre, ils ont voulu me faire jouer au rugby…
La première fois qu’un mec m’a plaqué au sol, je suis tombé dans les pommes. Terminé le rugby.
Alors du coup j’ai tenté la natation. Le premier jour, je sors de l’eau violet, les lèvres bleues, en slip de bain, et là, je tombe sur un connard que je n’avais pas vu depuis des siècles et qui du haut de son mètre quatre-vingt-dix me tape sur l’épaule, tout ce que j’aime, et me dit :
– Guillaume ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
– Je… je fais de la natation.
– Mais je ne savais pas que tu nageais ?
– Ben si, je nage… enfin comme tout le monde quoi.
– Et tu fais de la muscu aussi ?
– Euh… non.
– Tu devrais, c’est bon pour la natation.
Et là, je m’entends lui répondre cette phrase de teckel :
– Non, mais je ne peux pas, j’ai des problèmes de dos.
Tu parles… j’ai jamais eu de problèmes de dos… c’est seulement que je n’avais pas les couilles de lui dire, à ce connard, que je préfèrerais crever la bouche ouverte que de faire de la muscu…
C’est comme le foot… quelle angoisse ! Commencer à jouer au foot à 17 ans ! Les mecs, ils savent dribbler à l’âge de 4 ans. En plus, à 17 ans, il n’y a pas une équipe qui vous prend. Non, et puis moi en train de jouer au foot… je vous laisse cinq secondes pour visualiser la scène…
Voilà ! C’est ridicule ! »

Guillaume trace son chemin sous le regard de ses proches, de ses amis qui, tous, donneraient leur tête à couper qu’il est homo.
« Mes tantes ! Oh ouais, elles sont géniales mes tantes. Elles sont hyper féminines. Il y en a une qui est sublime ! Un peu ivre morte du matin au soir mais sublime. Elle vit à Los Angeles. Un jour elle m’a dit : « Les mecs, c’est très simple ! Au début, tu leur donnes beaucoup, mais vraiment beaucoup, et quand ils s’attachent, tu serres, tu ne donnes plus rien, et là tu les tiens par les couilles ! » Elle n’arrête pas de parler de la Gay Pride en Californie et dit toujours qu’ils sont soit antiquaires soit fleuristes.
– Et toi, Guillaume, que veux-tu faire plus tard ?
– Euh, je ne sais pas, journaliste !
– Ah, tu ne veux pas être antiquaire ?
– Non. »

Il semblerait que les choses ne soient claires que pour Guillaume. Et encore…
« Mais je ne suis pas homo, puisque je suis ta fille qui est attirée par un garçon. C’est on ne peut plus hétéro, ça ! Une fille qui est attirée par un garçon, c’est pas des « il y en a plein qui » ! Je t’en donnerais moi des « il y en a plein qui ». « Il y en a plein qui » ! Non mais je rêve !
Mais alors ça veut dire que si je ne suis pas une fille, haaaannn !… ça veut dire que je sui un garçon ? Haaaaaaaannn !… et que si je suis un garçon, ça veut dire que je vais devoir faire mon service militaire… ?
Ah non ! C’est pas possible ! »

Puis, un jour, Guillaume tombe amoureux… d’Amandine, et les choses rentrent d’elles-mêmes dans l’ordre. Enfin presque !
« Maman, j’ai deux choses à t’annoncer. La première c’est que j’ai décidé d’écrire un spectacle sur un garçon qui doit assumer son hétérosexualité dans une famille qui a décrété qu’il était homosexuel.
(…) la deuxième chose que je voulais t’annoncer, c’est qu’Amandine et moi avons décidé de nous marier.
– Avec qui ? »

Qu’on le veuille ou non, le regard de ceux qu’on aime et l’image qu’ils nous renvoient de nous influe sur notre comportement.
Dès son plus jeune âge, Guillaume Gallienne « s’est vu étiqueté d’une sexualité avant de la découvrir » et a eu à cœur de se conformer à l’image qu’avait de lui cette mère qu’il admire tant. Au fond, cela les arrangeait tous les deux : « elle pour avoir une fille, et (lui) pour (se) différencier de (ses) frères… pour (se) distinguer ! »
A partir de cette méprise qui aurait pu virer en véritable drame intime, Guillaume Gallienne a composé un texte jouissivement drôle. Habilement croqués, les différents personnages prennent vie en quelques mots. Avec un sens irrésistible de la dérision, il fait rire de situations émotionnellement difficiles, parfois même tragiques, sans jamais se départir d’une pudeur et d’une élégance… folles !

Seul point négatif : plutôt que de me consoler d’avoir raté les dernières représentations de son spectacle, ma lecture m’a fait regretter deux fois plus mon inconséquence.
Dis Monsieur Gallienne, tu le reprendras bientôt à Paris ton spectacle ?

Une bande-annonce / concentré du spectacle est en ligne ici.
Et parce que cette chanson m’a trotté dans la tête tout le temps de ma lecture, voici un lien pour écouter For today I’m a boy, d’Antony & the Johnsons.

Elles ont également lu Les garçons et Guillaume à table ! :

Lætitia, qui fait partie des chanceux qui ont vu le spectacle : « J’ai adoré le spectacle, j’avais hâte de pouvoir étudier le texte de plus près (…). J’ai eu plaisir à retrouver certains passages mais l’ensemble m’est apparu bien plus plat que lors de la représentation. Une preuve supplémentaire que l’interprétation peut vraiment sublimer le propos (néanmoins très intéressant hein, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !). »

Lily qui, comme moi, s’est consolée d’avoir raté le coche : « Les femmes occupent une place de choix et pour cause, Guillaume n’a cessé de les étudier depuis l’enfance, pour les imiter, être au plus proche d’elles… (…) Scènes clefs, donc du début d’une existence pas spécialement évidente, mais tellement bien revisitées, revues, à des années de distance, qu’elles peuvent à présent être drôles, tordantes… »

Les garçons et Guillaume à table !, de Guillaume Gallienne
Les Solitaires Intempestifs / Collection Du désavantage du vent (2009) – 64 pages