zola-jackson-leroy Août 2005. Katrina menace la Nouvelle-Orléans.
Pas de quoi paniquer Zola Jackson, ancienne institutrice du quartier noir de Gentilly. Des ouragans, elle en a vu passer bien d’autres dans sa déjà longue vie. Ce n’est pas celui-là, un de plus, qui va l’effrayer.
« (…) les crues, les ouragans, c’est notre lot à nous comme à d’autres la sécheresse, le désert qui avance ».

le marché des vélos se porte bien, et notamment celui des vélos pliants.

Tandis que la plupart de ses voisins commencent à évacuer, elle choisit de rester chez elle, en compagnie de sa chienne Lady, ignorant les injonctions de la police. « Mais on ne quitte pas la Nouvelle Orléans. On y naît. On y crève. C’est comme ça. » Femme de caractère à qui on ne la raconte pas, elle s’est organisée. Elle est prête et attend de pied ferme le passage de l’ouragan.
Seulement, sous les violents assauts de Katrina, les digues qui protègent la ville vont céder l’une après l’autre. Les eaux du Lac Pontchartrain envahissent les rues de la Nouvelle-Orléans ; les quartiers pauvres, à majorité noire, seront les premiers – et les plus sévèrement – touchés.

Seule dans sa maison avec Lady, Zola regarde, impuissante, les eaux monter inexorablement. Elle va devoir déserter le rez-de-chaussée pour trouver refuge dans sa chambre à l’étage, puis quand l’eau charriera son lit, grimper dans les combles obscurs sous le toit.
Les vents rageurs et la pluie tonitruante font place à une canicule suffocante. Dehors, les eaux pestilentielles charrient les débris, les rats crevés, les cadavres. Parfois, elle reconnait un voisin, un de ses anciens élèves.

Cinq jours durant, cloîtrée dans son arche, prisonnière des eaux, attendant les secours qui tardent à arriver, Zola fait le bilan de sa vie. A l’instar des éléments extérieurs, les digues de sa mémoire vont céder pour laisser échapper des flots de souvenirs dont les plus marquants vont remonter à la surface : son fils adoré, Caryl ; son mari, Aaron ; ses élèves et ses collègues de l’école…

Quel beau roman, quelle personnage magnifique, cette Zola Jackson !
Alors qu’elle envisage sa mort probable en attendant l’arrivée d’éventuels secours, Zola va laisser vagabonder ses pensées. Au fil de ses souvenirs, brouillés progressivement par les bières, le manque de nourriture et l’épuisement, va se dessiner le portrait décousu de ce fils unique à qui elle a tout sacrifié et auquel elle voue un amour absolu. Caryl, sa fierté, pour qui elle a toujours souhaité ce qu’il y a de mieux, se montrant intraitable – et parfois injuste – pour qu’il réussisse sa vie et échappe ainsi à sa double peine : noir et pauvre.
« Il n’y a pas de temps à perdre. On n’a le droit qu’à un tour. Un tour, et c’est fini. »

Lors de ses allers-retours entre présent et passé, Zola va également évoquer son mari, l’homme qui a bâti la maison dans laquelle elle est réfugiée aujourd’hui, qui l’a recueillie elle et son jeune fils métis, né d’une aventure sans lendemain avec un blanc. Ce blanc que lui rappelle trop cruellement, par son apparence physique, Troy, le petit ami de Caryl.
« Il est arrivé avec ses petites lunettes, ses petits cheveux, son petit air morfondu de Blanc repentant. On les connait, ces oiseaux-là. Ils vont les épaules basses et l’œil en berne. Chacun se croit comptable à lui seul des siècles d’esclavage et de maltraitance, mais c’est encore un orgueil, un orgueil inversé comme le revers de la pièce dont l’avers demeure cette arrogance dominatrice. Fausse monnaie que tout ça, pure singerie. »

Parallèlement, en trame de fond, Gilles Leroy aborde des thèmes plus politiques : la façon dont l’administration Bush a géré la catastrophe, la couverture obscène du drame par les médias et sa récupération par certaines vedettes d’Hollywood.
« Il faut croire que n’importe quelle chaîne de télévision était assez organisée et riche pour voler jusqu’à nous et réussir là où le gouvernement de la première puissance du monde échouait. »

Il décrit la condition des noirs aux États-Unis, et plus précisément dans les états du sud, population gangrénée par la violence, les gangs et le racisme (blancs/noirs, noirs/métis), laissée pour compte par l’élite blanche, à tel point que les habitants des quartiers défavorisés devront attendre plusieurs jours avant que les secours s’intéressent à eux.

Le tout se déroule dans une Louisiane des plus réalistes, qui n’est pas juste un simple décor de carton pâte posé là pour apporter un peu d’exotisme au récit, mais qui est bien un personnage à part entière. En cela Leroy réussit là où Besson avait échoué avec Un homme accidentel et La trahison de Thomas Spencer.

Au fil de son monologue intérieur, Zola Jackson passe par une palette d’émotions successives qui dévoilent un personnage complexe, tout à tour inébranlable et vulnérable, aimante et rancunière ; une femme vraie avec ses forces et ses fêlures.
En à peine plus d’une centaine de pages d’un récit habilement construit, Gilles Leroy dresse le portrait subtil d’une femme volontaire, courageuse, digne et profondément émouvante, sans jamais verser dans le misérabilisme malgré un épilogue en mode happy end.
Un roman déchirant qui est un grand cri d’amour d’une mère pour son fils

Autour de Zola Jackson, à découvrir sur le blog de Gilles Leroy.
Gilles Leroy parle de son roman dans une web de L’Express.

Ce qu’ils en ont pensé :

Amanda : « C’est un roman qui porte en lui une mélodie douloureuse et, malgré les eaux putrides du lac Pontchartrain qui montent inexorablement, malgré la mélancolie qui s’en dégage, on s’y enfonce comme dans la brume, en tâtonnant (les souvenirs sont décousus, le ton changeant), mais on y reste rivé, troublé et ému. Touché par cette femme seule avec son chien pour unique et dernier compagnon, touché par ce texte très musical et particulièrement envoûtant. »

Bouquin : « Un bref roman qui se lit en une soirée. Une soirée humaine, au plus près d’une femme courageuse qui est aussi, et surtout je dirais, la mère d’un fils disparu. »

Brize : « Tendu vers un futur proche incertain (Zola survivra-t-elle ?), centré sur un personnage au cœur d’un drame qui le dépasse, point de convergence du collectif et de l’individuel, “Zola Jackson” est un beau roman, fort et émouvant. Impressionnant. »

Cathulu : « Une écriture très juste, un souffle puissant, qui ne verse jamais dans le pathos mais qui m’a mis les larmes aux yeux. Zola Jackson et Lady, je ne les oublierai pas de sitôt ! »

Clara : « Un livre très beau par la puissance des mots et cinglant de vérités pas très reluisantes. »

Colin : « Avec une économie de mots remarquable, Gilles Leroy inonde l’esprit du lecteur d’images et d’émotions à la fois subtiles et saisissantes, il rend presque perceptible l’écrasante torpeur dans laquelle baignent le Mississippi et la Louisiane en été, torpeur qui se propage au cerveau, qui rend les contours flous, la frontière entre rêves et réalité perméable. »

Delphine : « On s’accroche à cette femme et à sa chienne Lady, toutes deux attachantes dès les premières pages de lecture. On espère que la chute sera positive tant nous nous attachons à elles. »

Fashion : « Même si l’on peut regretter un épilogue qui m’a paru un peu convenu, on ne peut que recommander la lecture de ce beau roman au style aussi élégant que vibrant. »

Lou : « La petite histoire imbriquée dans la grande forment un ensemble cohérent, avec un roman qui constitue à mon sens une vraie réussite, aussi bien sur le fond que sur la forme. »

Matoo : « C’était une aventure intense, tant dans le voyage intérieur des souvenirs de Zola, que dans sa lutte pour sa survie bien prosaïque, et cette fin arrive aussi comme un message d’apaisement. »

Midola : « Ce roman est bien écrit, le sujet très bien traité mais il ne m’a pas touché plus que ça. Dommage. »

Papillon : « Un roman magnifique, émouvant et très humain. »

Stéphie : « Un roman dont la puissance est inversement proportionnel à sa taille. »

Theoma : « J’ai été transpercée. Une centaine de pages ont suffi. Et quelle fin ! C’est juste la grande classe. »

Zola Jackson, de Gilles Leroy
Mercure de France (2009) – 140 pages