bei-bei-coin-monastere « Mon titre officiel c’est « Hygiéniste en ouatères » : c’est joli à entendre, comme formule ! Ce qui est mois joli à l’oreille, c’est ce que ça veut dire : « Balayeur de chiottes ». »
Modeste fonctionnaire, Douzi brique et récure avec cœur les toilettes du monastère du Dragon. Quel que soit le moment de la journée, il les veut impeccables et rutilantes. Il en fait une question d’honneur. A plus forte raison qu’il y loge, dans ces toilettes.
Divorcé, il a effectivement choisi de vivre sur son lieu de travail pour économiser un loyer et payer la pension alimentaire pour son fils, qu’il voit de loin en loin.

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Cette vie simple lui convient plutôt :
« Au monastère, il y avait tous les jours l’odeur de l’encens, tous les jours, du matin au soir, les voix des gens en prière, c’était une espèce de petit paradis et même si ma vie ne valait pas grand-chose, au moins elle était tranquille, propre et nette. »

Les journées s’écoulent, identiques les unes aux autres. Quand il n’est pas en train de nettoyer ses toilettes, Douzi regarde la télévision et repasse sa vie en boucle : son enfance insouciante, son mariage raté, la réussite sociale à côté de laquelle il est passé…

Il ne sort pas, n’a pas d’amis. Ses seuls rapports humains sont ceux qu’il établit avec les visiteurs de ses toilettes.
« Moi, je suis du genre très patient, mais c’est pas le cas de tous ceux qui fréquentent mes ouatères : on a la patience de ses tripes, quand elles sont bourrées de déchets, adieu sang-froid ! En ce bas monde, on est tous différents, et nos tripes aussi, vu que les contenus ne sont pas les même, mais, quand l’envie est là, on est tous pareils, n’y a plus de héros ! »
Ah oui, parce qu’il est aussi philosophe, Douzi… à sa manière. Une sorte de Confucius des wawas qui, derrière la vitre de son guichet, observe le monde à hauteur de toilettes et pose un regard lucide sur le monde qui l’entoure.

Un beau jour, débarque dans ses toilettes Mi Weicang, son camarade de classe, son héros, qu’il n’a pas vu depuis vingt ans. Douzi a toujours été en admiration devant ce garçon issu d’une classe supérieure, qui a toujours su en imposer aux autres. Vingt ans plus tard, il est toujours aussi impressionné par son ami, de retour d’une de ces mégalopoles chinoises, tentaculaires et futuristes.

Alors que lui en est à arrondir ses fins de mois en faisant payer des feuilles de papier hygiénique à ses visiteurs imprudents, Mi Weicang a fait fortune dans le commerce international. En délicatesse avec les affaires, il demande asile à Douzi, trop heureux de dépanner son ami en l’hébergeant un temps.
Mais, il déchantera vite quand il s’apercevra que Mi Weicang n’est pas pressé de partir. Douzi aura bien du mal à se débarrasser de cet ami qui va s’avérer bien plus encombrant encore qu’il n’y paraît.
« Neuf millions six cent mille kilomètres carrés de Chine, c’est pourtant vaste, non ? Et dire qu’il n’y avait pas là-dedans un seul endroit où il aurait pu poser le pied, sauf chez moi, et chez moi, c’était un monastère, et même des ouatères de monastère ! »

Je ne remercierai jamais assez Virginie (Perdue dans les livres). De passage dans ma bouquinerie de prédilection, je suis tombé sur ce bouquin cocasse et corrosif que j’aurais probablement ignoré sans le billet qu’elle lui avait consacré deux jours auparavant.

Écrit dans un style familier privilégiant l’oralité, Mon petit coin de monastère est une petite merveille d’humour. Réunissant un fonctionnaire servile et un nouveau riche corrompu, ce qui est annoncé comme un polar burlesque est en fait une satire de la Chine en pleine mutation d’aujourd’hui. Bei Bei y dresse le portrait caustique de ses habitants, à la fois séduits par une Chine moderne capitaliste qui érige la réussite financière en exemple, et nostalgiques d’une Chine traditionnelle communiste, en dépit des ravages toujours patents de la révolution culturelle.

Mon petit coin de monastère, de Bei Bei
(Jia zhu cesuo) – Traduction du chinois : Françoise Naour
Gallimard / Collection Bleu de Chine (2010) – 92 pages