coe-pluie-tombe.jpg C’est une bien étrange mission que Rosamond a confiée par voie testamentaire à sa nièce Gill : retrouver Imogen, une cousine aveugle dont la famille a perdu trace depuis des années, pour lui remettre vingt photos que la défunte a soigneusement sélectionnées et décrites dans quatre audio-cassettes.
Ses recherches restant infructueuses, Gill décide d’écouter les bandes sonores afin d’y trouver un détail qui pourrait la mettre sur la piste d’Imogen.

De la photo d’une maison de la banlieue de Birmingham, prise à l’hiver 38/39, à celle de la fête d’anniversaire donnée en 1984 pour ses cinquante ans, Rosamond va s’appliquer à transmettre ses souvenirs à Imogen.
« Ce que je veux te laisser par-dessus tout Imogen, c’est la conscience de ton histoire, de ton identité, la conscience de tes origines et des forces qui t’ont façonnées »

A travers ce témoignage d’outre-tombe, la vieille dame raconte plusieurs générations de femmes : Ivy, sa tante de la campagne, chez qui elle a été envoyée quand elle avait six ans pour échapper au Blitz ; Beatrix, sa cousine, la fille d’Ivy, sa “sœur de sang”, avec qui elle fera les quatre cents coups et dont elle s’est toujours sentie intimement liée, même dans les pires moments de leur vie d’adultes ; enfin, Thea, fille de Beatrix et mère d’Imogen.
Chaque photographie, accompagnée de son lot de digressions, dévoilera un pan de l’histoire familiale.
« Que c’est difficile de t’expliquer tout ça dans le bon ordre ! Comme d’habitude, je suis censée te décrire une photo, et je te raconte tout pèle-mêle. Mais peut-être qu’il n’y a pas d’ordre, après tout. Peut-être que l’ordre naturel des choses, c’est le chaos et l’aléatoire. Je ne suis pas loin d’en être convaincue. »

Au fil du récit, certains concours de circonstances vont se faire jour, comme si, de génération en génération, la vie devait se répéter, les mêmes erreurs se reproduire. Mais sont-ce vraiment des coïncidences ? Le hasard existe-t-il ? Ne serait-on pas plutôt, quoi que l’on fasse, formaté dès notre naissance par l’histoire des générations passées ?

Selon une structure narrative qui suit l’ordre chronologique des photographies (chacune faisant l’objet d’un chapitre), Jonathan Coe déroule une histoire de femmes d’où les hommes sont quasi absents ou, au mieux, relégués à leur part congrue.
Faisant courir son récit sur toute la seconde moitié du XXe siècle, avec Rosamond pour témoin, il va suivre le parcours de quatre générations de femmes, enfants mal aimées devenues à leur tour des mères mal aimantes, bourreaux infligeant à leurs filles les blessures psychologiques et physiques dont elles ont été elles-mêmes victimes. Ivy, Beatrix, Thea forment la chaîne du désamour familial dont Imogen est le dernier maillon.
« Oui, c’est vrai, rien de tout ça n’aurait dû arriver, ce n’est qu’une longue suite d’erreurs terribles, terribles, et pourtant regarde à quoi ça a abouti. Ça a abouti à toi, Imogen ! Et quand je vois le portrait que Ruth a fait de toi, il me paraît évident qu’il fallait que tu existes. Il y a chez toi quelque chose de bon, de juste, de nécessaire. L’idée que tu aurais pu ne pas exister, que tu aurais pu ne jamais naître, me paraît si injuste, si monstrueuse et contre nature… Ça ne veut pas dire que ton existence corrige ou annule toutes ces erreurs. Elle ne justifie rien. Ce qui signifie – je l’ai peut-être déjà dit ? Je crois que oui, même si c’est en d’autres termes – ou plutôt ce que ça me fait comprendre, c’est ceci : la vie ne commence à avoir un sens qu’en admettant que parfois, souvent, toujours, deux idées absolument contradictoires peuvent être vraies en même temps.
Tout ce qui a abouti à toi était injuste. Donc, tu n’aurais pas dû naître.
Mais tout chez toi est absolument juste : il fallait que tu naisses.
Tu étais inévitable. »

Dans ce roman intime, fortement teinté de nostalgie, Coe aborde donc le thème de la maternité, de la transmission, de l’inéluctabilité de la destinée qui ne laisse aucune place au hasard.
Il y a aussi une réflexion intéressante sur les photos de famille, le bonheur affiché qu’elles sont supposées véhiculer, l’obligation – consciente ou non – d’y paraître heureux, sous son meilleur jour, leur pouvoir d’abolir juste l’instant d’un “clic” tous les conflits, les tensions, les rancœurs qui se cachent derrière les sourires fièrement affichés.

La pluie, avant qu’elle tombe est un roman qui se lit avec plaisir et qui renferme de jolis moments, comme celui qui donne son titre au livre :
« Je suis partie les rejoindre, mais Rebecca ne s’est pas retournée en entendant mes pas sur les galets. La main en visière, elle regardait les montagnes en disant : « Regarde ces nuages. Il va y avoir de la pluie et de l’orage, s’ils viennent par ici. » Thea a entendu sa remarque : elle était très attentive au moindre changement d’humeur – j’étais chaque fois surprise de constater à quel point c’était une enfant sensible, en phase avec les émotions des adultes. Du coup, elle a demandé : « C’est pour ça que tu as l’air triste ? – Triste ? Moi ? a répondu Rebecca en se tournant vers elle. Non ça ne me dérange pas, la pluie d’été. En fait, j’aime bien ça. C’est ma pluie préférée. – Ta pluie préférée  » Je revois Thea fronçant les sourcils en méditant ces paroles, et puis elle a proclamé : « Eh bien moi, j’aime la pluie avant qu’elle tombe. » Rebecca s’est contentée de sourire, mais moi j’ai répliqué (de façon assez pédante, je suppose) : « Tu sais, ma chérie, avant qu’elle tombe, ce n’est pas vraiment de la pluie. – Qu’est-ce que c’est alors ? » Et j’ai expliqué : « C’est de l’humidité, rien de plus. De l’humidité dans les nuages. » Thea a baissé les yeux et s’est de nouveau affairée à trier les galets de la plage : elle en a ramassé deux et s’est mise à les frapper l’un contre l’autre. Elle semblait trouver plaisir à ce bruit et à ce contact. J’ai continué : « Tu comprends, ça n’existe pas, la pluie, avant qu’elle tombe. Il faut qu’elle tombe, sinon ça n’est pas de la pluie. » C’était un peu ridicule de vouloir expliquer ça à une enfant, et je regrettais de m’être lancée là-dedans. Mais Thea ne semblait avoir aucun mal à saisir ce concept – bien au contraire : au bout de quelques instants, elle m’a regardée avec pitié en secouant la tête, comme si c’était éprouvant pour elle de discuter de ces matières avec quelqu’un d’aussi obtus. « Bien sûr que ça n’existe pas, elle a dit. C’est bien pour ça que c’est ma préférée. Une chose n’a pas besoin d’exister pour rendre les gens heureux, pas vrai ? ». Et puis elle a couru dans l’eau avec un sourire jusqu’aux oreilles, ravie que sa logique lui ait valu une si insolente victoire. »

propose également quelques modèles de vélos pliants.

Malgré tout, La pluie, avant qu’elle tombe restera pour moi une lecture en demi-teinte puisque tout au long de ce roman qui joue sur la corde sensible, jamais je ne me suis senti émotionnellement impliqué. Je suis resté spectateur du début à la fin. Intéressé mais pas touché.
Enfin, les deux points forts du roman m’ont semblé avoir déjà été mieux traités ailleurs : sur le thème de la fatalité et du poids de l’histoire familiale que se transmettent les générations successives, j’ai trouvé Lignes de faille, de Nancy Houston plus intense et plus puissant. Quant à la structure du roman, si elle est intéressante, celle de Tableaux d’une exposition, de Patrick Gale, est bien plus originale et plus sophistiquée.

Un roman agréable, donc, mais qui m’a semblé sans éclat (oserais-je dire inabouti ?).

Ce qu’ils en ont pensé :

A propos de livres : « J’ai été prise par l’histoire et j’ai dévoré le livre rapidement. A découvrir sans tarder ! »

Armande : « La narratrice s’interroge sur la filiation, sur le caractère inéluctable de certains schémas qui se reproduisent de génération en génération, sur la notion de maternité, autant de thèmes sensibles qui m’ont touchée. »

Betty : « Ce roman n’a pas su susciter d’émotions alors qu’il en est plein, il m’a finalement laissé assez indifférente. »

Bookomaton : « En bref, un texte un peu trop balisé à mon goût, mais qui recèle de beaux moments et révèle un indéniable savoir-faire. »

Cathulu : « Tissant avec virtuosité l’histoire de cette lignée de femmes à celle de l’Histoire, Jonathan Coe nous livre ici une œuvre sombre mais fluide, qui se lit sans déplaisir, mais qui laisse un peu sur sa faim. »

Cécile : « J’avoue que j’ai eu un peu de mal à rentrer dedans (les soixante premières pages sont les préliminaires pour arriver à la description des vingt photos) mais une fois qu’on est dedans on ne le lâche plus jusqu’à la fin. »

Dasola : « J’ai vraiment été émue par ce roman de 250 pages, haletant de bout en bout, et qui s’avale d’une traite. Lisez-le, c’est une vraie réussite. »

Dominique : « C’est une étape intéressante dans le parcours de Coe, mais il serait malvenu de comparer cette œuvre singulière à ses autres romans. »

Keisha : « Depuis longtemps je lis avec plaisir les romans de Jonathan Coe et là j’ai été scotchée à l’histoire, dévorée en moins d’une journée… J’ai admiré la maîtrise narrative de l’auteur, la fluidité de son écriture. »

Kathel : « Tout m’a plu dans ce roman, les personnages intéressants et plein de profondeur, la construction en vingt chapitres commentant les vingt photos, l’écriture toute en finesse, jusqu’aux coïncidences qui pourraient sembler exagérées et qui semblent tout à fait à leur place dans cet ouvrage. »

Lily : « Voilà un roman magnifique, merveilleusement, magistralement construit, d’une plume élégante et sensible. »

Matoo : « Je le conseille sans ciller, car il s’agit là pour moi de grande et merveilleuse littérature, qui sait nous émouvoir, nous interpeller, nous ébranler dans nos certitudes, tout en étant bien écrit et en restant un divertissement de qualité. »

Plaisirs à cultiver : « J’ai été happée par l’histoire qui nous est racontée, et déçue comme Gill lorsque la narration revient au présent. »

Sentinelle : « Il privilégie avant tout le romanesque et le roman psychologique où la fragilité des existences, l’engrenage des répétitions, l’absence du hasard et le poids de la destinée se font la part belle, au point qu’il pourrait susciter à ce niveau une certaine irritation aux tenants d’une vie librement choisie. »

Voyelle & Consonne : « D’accord, il est un peu court et malheureusement vite dévoré ; d’accord, Coe n’exploite pas toutes les narrations mises en place et c’est dommage parce qu’on en voudrait encore… Mais cette histoire de petites filles mal aimées qui vont devenir à leur tour mal aimantes est poignante. »

D’autre avis encore sur Blog-O-Book.

La pluie, avant qu’elle tombe, de Jonathan Coe,
(The rain, before it falls) – Traduction de l’anglais : Jamila et Serge Chauvin
Éditions Gallimard – Collection Du monde entier (2009) – 248 pages