A 46 ans, Paul, agriculteur dans le Cantal, décide de mettre un terme à son célibat forcé. L’annonce qu’il passe dans un magazine est celle de la dernière chance.
Et sa dernière chance s’appelle Annette, caissière au Leclerc de Bailleul, dans le Nord. A 37 ans, elle est mère d’un petit garçon de 11 ans, Eric.
« Il n’en voulait à personne, il n’aurait rien pu dire, mais à quarante ans il s’était réveillé, calme et résolu. Résolu à cela, à cela seulement, il aurait une femme à Fridières, une femme avec lui, à son côté pour les jours et les nuits pour vivre et durer. Il était Paul, on ne l’empêcherait pas ; on, les autres, personne ne l’empêcherait. Cette femme, Annette, de Bailleul, du Nord, écoutait ; elle était pour lui. Il l’avait senti aussi à cette façon qu’elle avait eue de se tenir sans paroles devant la Loire grise, dans le froid de novembre, dans cette morsure d’avant la nuit. Sur elle, autour d’elle, et de sa veste en laine rouge qui trouait l’ombre montante, il avait reconnu son odeur happée d’abord, trois heures plus tôt, sur le quai 2, à la descente du train, une odeur un peu lasse et presque sucrée, comme déjà familière, apprise et apprivoisée. »
, qui nous espérons, vous aidera à y voir plus clair sur les vélos pliables.
Après quelques échanges épistolaires et téléphoniques, Paul et Annette sentent que quelque chose est possible, qu’ils peuvent réussir à s’accommoder l’un de l’autre. Ils décident de se rencontrer. Chacun fera la moitié du chemin qui le sépare de l’autre. Nevers sera leur Vérone.
« Elle n’avait rien connu d’autre et comprit à Nevers, en novembre et plus encore en janvier, qu’avec Paul il faudrait tout inventer. Les corps aussi ; les corps surtout. Pas réapprendre, pas recommencer ; inventer. Dans le train du retour, en novembre, elle avait pensé aux mains de Paul dont l’image, très nette, flottait dans son demi-sommeil. Des mains larges et vives qui accompagnaient les paroles, des mains récurées, durcies par des travaux qu’elle ne connaissait pas. Ces mains seraient sur elle, posées, chaudes, appuyées ; ces mains avaient manqué, s’étaient ouvertes sur le vide, avaient attendu, et savaient vouloir. Après la première nuit en janvier à Nevers, dans la chambre minuscule et surchauffée, Annette avait eu un moment de découragement. Faire semblant, avoir l’air de redouter, s’acquitter de, ravaler sa peine, et sentir celle de l’autre rangée enkystée enfouie. Sentir aussi que c’était mieux que rien, sans doute. Annette secouait la tête dans le train du retour. C’était le prix, il y avait un prix, cet inconfort cette gêne moite. On n’avait pas seize ans, ni vingt ; on n’était pas des enfants, des jeunes premiers, des mariés du jour, des éblouis, des nantis de la vie. Il faudrait s’arranger. On s’accommoderait. Elle s’arrangerait de cet homme calme et décidé qui la prenait, elle avec l’enfant le fils, et lui faisait une place pour durer, peut-être. En juillet à Fridières, Annette avait connu le vrai corps de Paul, un corps en état d’urgence, aiguisé par les travaux immuables et les fenaisons pressantes, un corps d’homme qui court, qui lutte, entre les prés et l’étable, les bras le torse le dos le ventre les cuisses rompus à d’autres étreintes, aux bêtes rétives, aux outils, aux rouleaux de ficelle dure, aux écrous qui résistent dans les rouages chauds des machines. Elle avait senti au long d’elle le soir dans le lit sourdre de Paul cette tension nourrie des mille obstacles de chaque jour qu’il déposait comme il l’eût fait d’un vêtement usé. Par cet abandon, tandis que la fenêtre restait ouverte sur les fragrances têtues des nuits de juillet, sur leur ardeur crépitante de bêtes sonores, Annette avait été apprivoisée. »
Quelques mois plus tard, Annette s’installe avec Eric à la ferme. Tous deux vont devoir trouver leur place à la ferme, entre les deux oncles de Paul, célibataires octogénaires inséparables et taciturnes, et Nicole, sa sœur, vieille fille aigrie qui voit arriver d’un sale œil ces étrangers, cette femme et cet enfant, venus investir le territoire sur lequel elle régnait jusque là sans partage.
L’annonce, de Marie-Hélène Lafon, c’est l’histoire de deux solitudes qui, en dépit des circonstances, veulent encore croire à la possibilité d’un avenir.
Deux adultes, plus très jeunes mais pas encore vieux, qui veulent repartir de zéro et tirer un trait sur leur vie “d’avant” : pour Annette, un mariage avec un mari alcoolique et violent qui enchaînait les séjours en cure de désintoxication et en prison ; pour Paul, une première relation avortée, quelques années auparavant, pour cause d’incompatibilité avec les autres occupants de la ferme.
La vie à la ferme est rude. Physiquement, on imagine bien comment le travail de la terre peut être harassant, combien les bêtes peuvent exiger d’attention, ne tolérant pas la moindre inflexion dans le déroulement de leur journée.
Dans le hameau de Fridières, il en va des bêtes comme des humains, sclérosés dans un monde d’habitudes et de traditions, où l’imprévu et la nouveauté n’ont pas leur place. La vie à la ferme, l’organisation des journées de travail, la réalisation même des tâches, c’est comme si tout avait été décrété une fois pour toute, des années auparavant, sans que personne n’imagine aujourd’hui revenir dessus. Tout est décidé à l’avance, la vie comme un train électrique pour enfant, suit immuablement les mêmes rails, sans jamais en dévier. Le rituel de la lecture de La Montagne à la ferme en est l’exemple frappant.
Contrairement à sa sœur Nicole, Paul ne peut se contenter de cet avenir tout tracé, qui l’étouffe. Au fil du temps, il a réussi à faire évoluer un peu les choses, lentement, soucieux de ne braquer personne.
Annette devra elle aussi composer avec les autres membres de la famille, essayer de se faire accepter et de trouver sa place dans cet environnement austère et hostile, où même si chacun garde ses sentiments pour soi, tous lui font comprendre qu’elle est une étrangère, qu’elle n’est pas ici sa place.
Malgré tout, la cohabitation s’organise entre, le rez-de-chaussée où les oncles et Nicole continuent à habiter et l’étage où se sont installés Paul, Annette et Eric (surnommés les Américains, à cause de la cuisine de la même nationalité que Paul leur a aménagée). Devenus inséparables, l’enfant et la chienne de la ferme, Lola, vont faire faire office de zone neutre entre les deux camps.
« Septembre, le pays rendu à lui-même dans le silence roux des soirs, et la rentrée d’Éric au collège installèrent Annette et son fils, au regard des autochtones dans une possible durée. Ils étaient là et ils pouvaient rester ; encore faudrait-il passer l’hiver ; un homme, Paul, le neveu le frère, avait certes des besoins, mais tout ne se résumait pas à cette affaire des corps mélangés ; comment s’accommoderaient-ils à la longue, les deux, et pas seulement au lit. On n’en savait rien, on n’en saurait rien on n’en dirait rien, on secouerait la tête, on oserait un demi-sourire entre soi, en bas à table devant la chaise vide. »
En à peine plus de 200 pages, dans un style ciselé et précieux, Marie-Hélène Lafon explore deux années d’une histoire d’amour, fragile, tout en devenir, âpre mais non dénuée de sensualité, où le silence et la pudeur des sentiments prennent toute la place. Une histoire entre deux êtres décidés à devenir maîtres de leur destin, qui devront apprendre à se connaître, et lutter contre le poids des usages et des préjugés campagnards. Une histoire qui, comme Nevers, à mi-parcours entre Bailleul et Fridières, se situe dans une zone intermédiaire, quelque part entre passion et habitude.
« Annette se tenait debout devant la vue, suivant, comme du doigt, les nervures des ombres couchées en bêtes dociles au flanc des arbres dont elle ne savait pas le nom. Elle ne demanderait pas à Paul, elle n’était pas une écolière, elle n’était pas en voyage d’agrément ni en séjour chez de lointains cousins, elle ne donnerait pas dans le tourisme éclairé, elle n’avait pas loué un gîte pour les vacances, n’explorait pas méthodiquement l’exotique contrée, faune flore et autochtones inclus. Il s’agissait de faire sa vie là, de commencer de recommencer là. Elle attendrait que Paul dise, l’air de rien, comme en passant, ce qu’il y avait à savoir, sans donner de leçon. »
C’est une très belle découverte que celle que je viens de faire avec ce roman de Marie-Hélène Lafon. Ce fut également pour moi un voyage nostalgique dans le passé, auprès des membres de la branche paysanne de ma famille (comme une preuve ultime de l’immuabilité de la mentalité des campagnes ?).
Les premières pages de L’annonce sont à feuilleter sur le site de Buchet-Chastel.
Sur le site de L’Express, Marie-Hélène Lafon lit un extrait de L’annonce.
Ce qu’ils en ont pensé :
Anne-Sophie : « Ce qui fait la beauté de ce roman ce n’est pas tant l’histoire que le charme suranné de son style. L’écriture est douce et mélancolique, exprimant au mieux l’état d’esprit de cette femme qui laisse derrière elle une vie désastreuse et qui espère trouver le bonheur dans ce coin perdu de la France. Savoureux… »
Aurore : « L’annonce est un texte émouvant et touchant de la femme silencieuse et de l’homme aux mains d’airain, qui se rencontrent et s’apprennent, sans savoir dire les mots. »
Cathulu : « Rien de superflu dans ce texte qui s’élance en amples envolées, supprimant au passage quelques virgule superfétatoires, pour mieux rendre compte de la vie, tenace, qui se donne à voir à l’œuvre. »
Cuné : « Je ne sais pas trop pourquoi je suis restée plus ou moins sur le bord, peinant à ressentir vraiment quelque chose. Lu à un mauvais moment, peut-être. »
Dasola : « Il faut savoir entrer dans cette histoire écrite dans un style dense, du fait de l’absence de virgules et d’une ponctuation décalée dans certaines phrases. Cela donne une tonalité particulière à l’ensemble. »
Gwenaëlle : « Pour ma part, je l’ai trouvé inégal. A cause du style, justement, qui enferme le récit dans un corset de mots sophistiqués à l’extrême quand il faudrait mettre, ici et là, une certaine simplicité (…) Malgré ces réserves, j’ai trouvé cette histoire sobre et touchante. »
Keisha : « Une écriture neutre, en tout cas sobre et retenue, dont le rythme peut parfois décontenancer, quelque lyrisme étant réservé à de superbes descriptions (la grange, la nuit qui tombe). Première rencontre avec Marie-Hélène Lafon, belle rencontre. »
Philippe : « D’abord enthousiasmé par un style impeccable aux innombrables virgules et aux mots abscons, le sujet se délite pour finir dans un ennui profond. »
Renaud : « Marie-Hélène Lafon fait mouche. On est pris par cette histoire qui nous entraîne comme elle tient ses personnages dans les mailles de sa prose ; des êtres simples, à peine doués pour la vie, mais d’une vérité inaltérable. »
Roudoudou : « Avec le recul, je dirais que ce roman est sympa, plaisant à lire mais il m’en reste peu de choses finalement si ce n’est que c’est très bien écrit. »
Sylire : « Cette romancière a le don de décrire fort justement la vie qui s’égrène paisiblement loin de l’agitation de nos villes. »
Sylvie : « Dans une langue brillante, très souvent patinée par les âges (emploi de mots élégants surgis du passé, Marie-Hélène Lafon fait de ses personnages des héros quasi mythologiques. »
Yohan : « Mon entrée dans le roman fut assez laborieuse, gênée par une tendance systématique de l’auteur à instaurer un rythme ternaire qui consiste en la juxtaposition d’adjectifs ou de noms. (…) Heureusement cette recherche stylistique se fait de plus en plus rare au fil du roman, ce qui m’a permis d’entrer pleinement dans cette histoire. »
L’annonce, de Marie-Hélène Lafon
Buchet-Chastel (2009) – 208 pages