Mélinda, fillette de « presque sept ans », est réveillée en pleine nuit par sa sœur Cindy.
« Il y a un truc qui cloche. Mais Cindy a l’air de savoir ce qu’elle fait. Elle a seize ans, quand même. De toute façon, quand Maman n’est pas là, c’est Cindy qui commande. Et le matin, Maman travaille : jusqu’à neuf heures, elle nettoie dans les bureaux avant que les gens n’arrivent. Cindy, qui entasse des habits dans un grand sac, secoue la rêverie de sa sœur.
– Mais grouille-toi, Méli ! Prends un truc que t’as besoin dans ta chambre, et on s’arrache !
»
Vous souhaitez acheter un vélo pliant, des accessoires ou des vêtements.
« C’est dur de choisir. Cindy a dit un truc que t’as besoin. Pas un truc que t’aimes bien. C’est pas pareil. »
Et parce qu’elle se souvient que la maîtresse leur a demandé de lire « Gare au taureau » pour le lendemain, Melinda choisit le livre de lecture de l’école plutôt que Tigrou, son tigre en peluche préféré, ses Barbie ou même son trésor des trésors : la photo de son papa qu’elle n’a jamais connu. « Tout bronzé, il porte une queue-de-cheval, un short, des lunettes noires et il est assis sur un muret, au soleil. »
Quelques minutes plus tard, les deux sœurs se retrouvent dehors, en compagnie de tous leurs voisins, tandis que les pompiers luttent contre l’incendie qui dévore leur HLM et leurs maigres possessions.
En attendant un éventuel relogement, leur mère décide d’installer sa petite famille dans une vieille caravane posée sur un terrain vague, à proximité de la baraque à frites qu’elle tient en saison, au bord de la RN4, à l’entrée de Saint-Dizier. « Avant d’apprendre à lire, Mélinda croyait que c’était un nom de déesse. La Érenne. »
Comble de malchance, la vieille R5 refuse de démarrer ; la batterie est morte. Sa mère ne pourra pas conduire Mélinda à l’école avant quelques jours. Alors, la petite fille, pour échapper à l’accablement, se réinvente un monde tout à elle, plus beau, plus gai.
Quand un cirque débarque en ville et s’installe sur le terrain vague, c’est avec des yeux émerveillés qu’elle regarde le défilé des caravanes flambant neuves et des animaux dans leurs cages…
Puis, Mélinda retourne à ses jeux. Aujourd’hui, elle va jouer à la jungle.
« D’abord, le caniveau où coule un filet d’eau boueuse, on dira que c’est le marigot aux crocos. Les tuyaux orange, c’est les cases des Africains. Ils sont tous cachés dedans pour l’instant (à cause des crocos). Tiens, les tongs ce seraient une dame et un monsieur africains, ils s’appelleraient Fatou et, euh… Soleil. Ce serait la saison des pluies. Dehors, il y a des animaux féroces. Des combats de bêtes dans la jungle. D’ailleurs, on entend des bruits dans les fourrés ! »
Quelle n’est pas sa surprise quand elle découvre la cause de ces bruissements : un bébé tigre, autrement plus impressionnant que son Tigrou en peluche !
« Mélinda inspire un grand coup, comme la fois où elle a dû sauter dans le vide depuis l’immeuble en feu.
Quand même, un tigre, un vrai, qui surgit là, comme ça, pile au moment où elle jouait à l’Afrique !
Le bol ! »
Mélinda décide de garder pour elle sa découverte extraordinaire et nourrit l’animal à coup de saucisses à hot-dog et de steaks dérobés à sa mère.
Un peu plus loin, à la ménagerie, Pablo, le jeune fils du directeur du cirque, en pleine panique d’avoir laissé s’échapper le tigreau, se demande comment il va pouvoir réparer sa bêtise.
Dépité de devoir repartir sans L’Âge d’ange, ni Point de côté (récit des premières années de Pierre Mouron, le personnage de Bonheur fantôme) que j’étais venu acheter suite au billet de Laure, je me suis rabattu sur le dernier livre jeunesse d’Anne Percin, A quoi servent les clowns ?. Un livre vers lequel je ne serais certainement pas allé de moi-même pour plusieurs raisons comme l’âge du public visé, le thème du cirque (un cauchemar pour moi !)… et cette couverture que je trouve trop moche et pas du tout engageante…
…ce qui aurait été vraiment dommage : A quoi servent les clowns ? est comme un rayon de soleil qui à force de persévérance parvient à faire son chemin à travers un ciel sombre et menaçant.
Car le monde de Mélinda n’est pas tout rose, entre sa sœur apprentie coiffeuse et sa mère souvent absente du foyer, à se démener pour joindre tant bien que mal les deux bouts, peu regardante sur les heures sup. L’incendie de leur appartement et les conditions précaires de leur relogement n’arrangent pas les choses.
Malgré tout, l’heure n’est pas au misérabilisme. Et si les personnages d’Anne Percin ne vivent pas sur la planète des Bisounours, ils ne rejouent pas non plus une énième variation des Misérables.
Sans faire œuvre de naturalisme/réalisme pour autant, l’auteur ancre son récit de plain pied dans le réel.
D’une part, à travers le langage, plein de fraîcheur et de naturel, qui sonne toujours juste, comme tout droit sorti de la cour de récré.
D’autre part, en n’hésitant pas à aborder -avec subtilité et tout en suggestion !- des thèmes de société graves comme la précarité, la situation des familles immigrées, les étrangers expulsés de France, le racisme… Autant de sujets qu’on n’imaginerait pas trouver leur place dans une histoire destinée à un jeune public. Et pourtant.
Néanmoins, Anne Percin n’oublie pas de glisser dans son histoire une part de rêve, de féerie et d’optimisme, notamment via le monde du cirque (vu ici du côté des coulisses), vecteur de couleur, de fête et de magie.
Touchante d’innocence, Mélinda déborde de vie. Face à la morosité ambiante, son imaginaire fait des miracles. De deux vieilles tongs en plastique rose avec des marguerites, elle fait surgir monsieur et madame Soleil, le sorcier du village et son épouse. L’irruption du bébé tigre va faire basculer le quotidien de la gamine, apportant dans son sillage des moments tout doux comme le pelage du félin et tout chauds comme le soleil de la jungle.
A l’heure de la représentation sous le grand chapiteau, quand l’aventure s’achève, les enfants auront réussi à trouver leur place : Mélinda, dans sa famille ; Pablo, dans la troupe du cirque.
Toujours sur le fil, A quoi servent les clowns ? parvient à garder l’équilibre subtil entre légèreté et gravité, entre rires et larmes. Un numéro de haute voltige réalisé avec maestria.
Je n’aurais jamais imaginé que le ciel de Saint-Dizier fût si lumineux.
Et maintenant, il ne me reste plus qu’à mettre enfin la main sur L’Âge d’ange et Point de côté !
Les premières pages sont disponibles dans le document PDF joint en annexe de ce billet.
L’épilogue en forme d’échange épistolaire entre Mélinda et Pablo qui devait initialement clore A quoi servent les clowns ? est à découvrir ici.
Ce qu’ils en pensent :
Amanda : « C’est un roman grave et optimiste, tout simple et pourtant plein d’innocence et de fraîcheur. Un exercice difficile très justement réalisé. J’ai beaucoup aimé. »
Clarabel : « J’avais craint un décorum plutôt sombre et déprimant, ce qui n’enchante pas forcément les plus jeunes, encore dans l’attente de rêver grâce à la lecture, finalement les clichés sont dépassés et cela sert de toile de fond pour raconter une belle histoire qui se finit bien ! C’est un roman jaune ! Parfaitement jaune ! C’est moi qui vous le dis. »
Encres vagabondes : « L’histoire est rythmée, pleine de rebondissements, d’amour et de sensibilité. Bien que le livre soulève des sujets de société assez graves tels que les problèmes de logement, la monoparentalité, la précarité, l’intolérance, il n’en reste pas moins un extraordinaire message d’espoir et d’optimisme. Un livre pour prendre la vie du bon côté, même les jours les plus noirs. »
A quoi servent les clowns ?, d’ Anne Percin
Le Rouergue – Collection DacOdac (2010) – 160 pages