sagan-toxique « En été 57, après un accident de voiture, je fus, durant trois mois, la proie de douleurs suffisamment désagréables pour que l’on me donnât quotidiennement un succédané de la morphine appelé le « 875 » (Palfium). Au bout de ces trois mois, j’étais suffisamment intoxiquée pour qu’un séjour dans une clinique spécialisée s’imposât. Ce fut un séjour rapide, mais au cours duquel j’écrivis ce journal que j’ai retrouvé l’autre jour. »

Vélos pliables, tricycles pliables à pédalse ou électriques et scooters pliables homologués pour un usage sur la voie publique disponibles en version essence ou électrique.

Grâce à la ténacité de Denis Westhoff, fils unique de Sagan, Stock vient de publier Toxique, le journal que l’écrivain a tenu pendant les trois mois de sa cure de désintox en 1957.
Annoncé un peu abusivement comme “inédit”, Toxique avait déjà été publié en 1964. Mais par peur du scandale, le tirage avait été volontairement limité. Dans les années 60, quel que soit son milieu social, séjours en clinique privée pour y subir désintox, lifting ou avortement étaient soigneusement passés sous silence. Les people n’existaient pas encore, et n’allaient pas en réhab comme d’autres vont en thalasso.

En 1957, au volant de son Aston Martin, le « charmant petit monstre » avide de vitesse et de sensations fortes est victime d’un très grave accident qui a failli lui coûter la vie. Pour soulager sa douleur, les médecins lui administrent un dérivé morphinique qui la rendra dépendante et lui vaudra un passage en clinique.

Pour tuer son ennui, Sagan lit, beaucoup. Rimbaud, Apollinaire, Proust, Céline, Michelet… Elle écrit aussi, dans ce journal, où elle exprime ses souffrances :
« A l’aube.
J’ai dû aller chercher l’infirmière en bas. Je me suis retrouvée assise sur les marches de l’escalier, effondrée, lui répétant d’une voix que je sentais enfantine qu’il y avait plus de six heures que… En remontant avec elle, j’ai eu le sentiment de ce que pouvait être le sentiment de la déchéance.
Finalement, elle a consulté l’infirmière chef (très bien) et me l’a donnée (l’ampoule). Mais je ne veux plus être ainsi martyrisée puisque l’on peut faire autrement. La souffrance me diminue. Et me fait peur. »
« Le cœur me bat, comme on dit. J’essaye désespérément de ne pas tricher mais il suffit d’y penser pour que ça commence. La seule solution est d’attendre que ce soit vraiment douloureux. Et non pas prodigieusement énervant comme maintenant. Je m’épie : je suis une bête qui épie une autre bête, au fond de moi. »
« Impossible de dormir. Je suis bourrée de soporifique et ne ferme pas l’oeil. Un peu le même effet que lorsqu’on ne dort pas du tout. Pas très agréable ni le contraire. La tête qui tourne, la démarche oscillante, un creux à l’estomac et ces vertes pelouses…
J’exècre les gazons, plus jamais je ne verrai l’herbe, je n’irai pas en Angleterre. »

Elle qui dévore la vie à pleines dents, jusqu’à l’excès, se retrouve seule face à elle-même et face à ses angoisses :
« Se réveiller juste pour manger et, enfin, partir au soleil. C’est tentant. Mais à la fois –et il faut que je sois incorrigible -, j’ai l’impression que ce serait me voler trois jours. Trois jours de ma vie. Qui se passeraient à traîner du lit au fauteuil, à étouffer un peu, à essayer de penser à autre chose. Pourquoi ne pas dormir ? Cette éternelle avidité, cette éternelle curiosité… »
« Il y avait longtemps que je n’avais pas vécu avec moi-même. C’est d’un effet curieux. »
« J’ai peur depuis 4 mois. J’ai peur et je suis lasse d’avoir peur. »

D’ordinaire constamment entourée de ses amis, la fameuse “bande à Sagan”, elle dit son horreur de la solitude :
« Car, quand on n’a plus personne à embrasser et que la solitude équivaut à un travail que personne ne vous demande plus, la vie doit être triste. »

Elle maudit la déchéance :
« Me voici punie, moi qui ne crois pas aux punitions. » ; « Avant je faisais tout ce que je voulais, maintenant plus rien, c’est dégoûtant. »
« Mes frères alcooliques, aimable tribu débonnaires des nuits de Paris, je ne pourrais plus vous suivre, ou alors à jeun. Et je crains que ça ne marche pas. Ça me paraît triste. »
« La maladie est la pire chose. »

Et alors qu’on lui impose la modération, elle se montre impatiente de traverser à nouveau les rues de Paris au volant d’un de ses petits bolides, de retrouver le chemin des boîtes de nuit :
« J’ai appris des trucs, peut-être, des truquages. Quand donc aurai-je la force de conduire une Aston ? De prendre la porte Maillot un peu vite… Les rues, les places sont autant de regrets. »
« Ce capot noir qui s’élançait ce bruit confiant, amical, Jaguar un peu longues, Aston un peu lourdes, je m’ennuie de vous à périr, après avoir failli périr par vous. »
« J’ai eu un moment de gaieté ce matin dans une allée en me rappelant cet escalier du Jimmy’s, ce bar, comme j’y étais bien, comme j’y riais, comme c’était sombre et complice. »

Ce qui frappe d’emblée dans ce court texte, c’est l’extraordinaire lucidité dont fait preuve cette jeune fille de 22 ans qu’était Sagan à l’époque.
Sous ses dehors désinvoltes, elle évoque des petites choses futiles de son internement mais aussi de sujets aussi graves que la mort :
« Il y a autre chose qu’il me faut signaler sans doute si ce journal veut être complet. C’est que je me suis habituée peu à peu à l’idée de la mort comme à une idée plate, une solution comme si cette maladie ne s’arrange pas. »
« Cela m’effraie et me dégoûte mais c’est devenu une pensée quotidienne et que je pense être à même de mettre à exécution si jamais… Ce serait triste mais nécessaire, je suis incapable de tricher longtemps avec mon corps. Me tuer ; Dieu que l’on peut être seule parfois. »

Dans ce journal, elle fait preuve d’un détachement vis-à-vis d’elle-même qui frise parfois le manque de confiance en soi, et même d’estime de soi. Comme pour minimiser son propos, par pudeur ou par élégance vis-à-vis de son auditoire, elle use souvent d’adverbes comme « assez », « plutôt », « un peu ».
« Vendredi
Il faudrait que je m’en aille, j’en ai un peu assez. Vraiment assez. Il pluviote, j’ai lu le Figaro, de quoi donner le cafard au plus optimiste. »
« Tout ce que je fais pour moi est contre moi, c’est assez épouvantable. »
« Morrel m’a donné un test sur l’intelligence à effectuer, mais je ne m’en sens pas encore le courage, il me semble un peu long. S’il disait après que je suis d’une intelligence médiocre, je crains de ne pas le croire. C’est un peu fâcheux. Mais peu. »

Jamais elle ne se prend au sérieux, se moque parfois d’elle-même :
« Il faudrait bien que j’écrive cette nouvelle au lieu de me livrer à ce petit marivaudage avec moi-même. Ça fait écolière ; Écolière droguée, il est vrai. »
« Il semble que l’on pourrait m’attribuer la médaille de la désintoxication, tout le monde vante mon courage, je souris avec béatitude et idiotie. »
« Je joue avec mes doigts parfois, non sans sympathie. Le reste du temps, je me livre à cette absurde bataille contre le temps et le N°815 (Dommage que ce ne soit pas une date de l’histoire de France, je la saurais.) »

Chaque page est illustrée de dessins à l’encre de chine que Bernard Buffet a réalisés spécialement pour le texte de Sagan. Le mariage réussi des dessins aux traits anguleux de Buffet, qui renforcent l’impact du texte de Sagan en amplifiant sa violence retenue, donne à Toxique des allures de livre d’art.

A propos de ces dessins, il est amusant de noter qu’une fois encore, Sagan va être, malgré elle, à l’origine d’un mini scandale : à cause des dessins de corps nus, iTune a refusé Toxique.
Pour que le livre soit malgré tout disponible sur la plateforme Apple, l’éditeur de la version numérique a dû recourir à un stratagème en proposant une version expurgée qui évite soigneusement “le corps du délit”.
Les puristes peuvent toujours se procurer la version non censurée directement auprès de Ave ! Comics (qui en propose un joli aperçu ici).

En moins d’une centaine pages, Sagan nous laisse son meilleur souvenir, celui d’une femme sensible, touchante et tourmentée.
« J’avais 16 ans,
J’ai eu 16 ans.
Je n’aurai plus 16 ans.
Moi qui me sens la jeunesse même
Je n’ai pas vieilli en fait,
Je n’ai renoncé à rien. »

Un concentré d’émotions, à lire, à relire… comme une drogue.

Ce qu’ils en ont pensé :

Dédale : « Parfois, on est ébahi devant une phrase toute simple mais d’une grande beauté. Et là, on reste un temps en suspend. »

Julien : « Le journal commence par les mots griffonnés par l’écriture de Sagan. Lire ces mots en pattes de mouche, parfois barrés, difficilement lisibles pour certains, nous plonge directement dans ce bain émotionnel qui va au delà de ce que Sagan nous a offert dans ses romans. »

Pages à pages : « Toxique opère une alliance réussie entre mots et dessins, les deux se complétant pour offrir le portrait cru d’une jeune femme lucide, étonnamment clairvoyante. À peine âgée de vingt-deux ans, elle voit ses peurs la tenailler : peur de la maladie, de la déchéance, de la perte, et la fuite du temps. »

Toxique, de Françoise Sagan
Stock (2009) – 96 pages