blondel-baby-sitter.jpg « Étudiant sérieux et motivé donnerait cours de langues (anglais, espagnol) tous niveaux jusqu’à la terminale.
Baby-sitting également.
Tél. 06 16 25 00 ** »

Un soir qu’il en a assez de trouver son frigo désespérément vide, Alex, étudiant boursier dans la dèche, se décide à proposer ses services pour des cours particuliers d’anglais.
Pourtant, il n’est pas vraiment emballé par son idée : des annonces comme la sienne, il y en a déjà des dizaines apposées chaque jour aux vitrines des commerçants de son quartier. Tant, qu’à force on ne les voit même plus, à moins d’avoir besoin des services qu’elles proposent. La fin de la galère n’est pas pour demain.
Quand survient la nouvelle crise de pleurs du nourrisson du jeune couple de l’étage du dessus et le remue-ménage qui s’ensuit immanquablement chez les parents épuisés, Alex a une illumination : rajouter à son annonce : « Baby-sitting également ».

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Contre toute attente, ces trois mots ajoutés sans grande conviction, un peu à la hâte, à la fin de son texte vont attirer l’attention de la boulangère chez qui il dépose son annonce.
Elle a beau être plutôt ouverte d’esprit, Mélanie ne peut s’empêcher d’être surprise qu’un gaillard de dix-neuf ans, du haut de son mètre quatre-vingt-dix, propose des gardes d’enfants. C’est plutôt l’affaire des filles, d’ordinaire.
Intriguée et séduite, elle décide de donner sa chance à Alex et de profiter de cette occasion pour passer enfin un peu de temps avec son mari, sans les enfants.

Essai réussi pour Alex. Ravie des services du jeune homme, Mélanie se charge de lui faire de la publicité auprès de ses clients. Tant et si bien que rapidement les gardes s’enchaînent. C’est tout juste si Alex peut se libérer une soirée dans la semaine pour retrouver Marion, sa dulcinée du moment.

Alex s’en apercevra vite : une fois la garde terminée, il faut encore ensuite assurer le service après-vente. Car si le baby-sitting consiste avant tout à s’occuper des enfants, il demande également de savoir prendre soin des parents. Couples sur la brèche, adultes déboussolés, tous en mal d’écoute et de confidences vont trouver auprès du jeune homme une oreille bienveillante.
« C’est moi qui lui ai fait remarquer que, mine de rien, il reliait entre eux des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Qu’il créait des fils ténus, mais réels, et que ces fils permettaient aux autres de se sentir mieux. Plus encore, il créait un passage. Une route qui serpentait des moins de vingt ans aux plus de trente, quarante, cinquante ans. Au lieu de faire sentir le fossé, il construisait des ponts, tranquillement, placidement, des ponts grâce auxquels les âges pouvaient se rejoindre. »

Des liens vont se créer. Alex va devenir pour certains comme un membre supplémentaire de la famille ; un ami, pour d’autres. Partager ainsi l’intimité, les joies et les infortunes de ces gens aura sur Alex bien plus de répercussions qu’il ne l’aurait imaginé.

Rarement comme aujourd’hui, j’ai eu ce sentiment d’être en décalage total avec le reste de la blogoboule de lecture.
Après Keisha qui, à propos du Baby-sitter, avait évoqué il y a quelques semaines Anna Gavalda, Cuné, ce matin[1], fait référence à Katherine Pancol, et Leiloona ose même un rapprochement avec Une famille formidable. Toutes les quatre s’accordant à trouver à ce roman des vertus doudouthérapeutiques.
En ce qui me concerne, j’ai eu un gros coup de blues en lisant ce livre.

Alors certes, Jean-Philippe Blondel manie tendresse, humanisme et humour avec toujours autant de sensibilité (et surtout sans mièvrerie). Mais sous cette apparente légèreté, le ton est grave. Le drame affleure, le vernis craque et les fêlures se font jour.

Beaucoup de questions sont soulevées dans Le baby-sitter.
Arrivés à un tournant de leur vie, les personnages se remettent en question, chacun à sa façon. A-t-on fait les bons choix ? Est-il encore temps de renverser la vapeur ? Est-on arrivé enfin en haut de la colline ?
« A quarante ans passés, apparemment, on démêle beaucoup. »

J’ai particulièrement été touché par le personnage de Marc, qui m’est apparu diablement familier à plusieurs titres. Ce prof d’anglais dont le couple bat de l’aile depuis que sa femme, mutée loin du domicile, est absente la semaine, reste seul à s’occuper de leurs deux filles qui grandissent et commencent à lui échapper.
A travers Alex, Marc retrouve l’enthousiasme de sa jeunesse, cette période où toutes les options semblaient encore possibles, et qu’il n’était pas corseté par les codes imposés par la société.
« C’est curieux de parler de ça. De musique. J’ai l’impression que ça n’est pas arrivé depuis des lustres. Alors que, quand j’avais votre âge… mon Dieu ! C’était toute la journée. C’était presque toute ma vie.je pensais que je finirais dans un magazine pour aficionados, à faire des papiers sur des concerts obscurs dans des caves ou dans des MJC. Je deviendrais une sorte de référence underground. Un mec dont on se repasse le nom sous le manteau et qu’on admire en silence. A la place, je suis prof d’anglais dan s un collège, j’ai une femme que j’adore, mais qui ne vit pratiquement plus avec moi, et deux filles que je regarde grandir avec perplexité. – Et vous préférez quoi comme vie ? – Je n’en sais rien. Elles sont tellement aux antipodes l’une de l’autre. C’est comme si j’avais été écartelé. Mais, vous savez, pas plus que ma femme. C’était une fondue de cinéma. Elle pouvait citer les noms des acteurs dans les films roumains des années cinquante. Aujourd’hui, lorsqu’elle va au cinéma, c’est pur voir des dessins animés. Je ne dis pas que c’est mal, je ne regrette pas une sorte de paradis perdu, je dis seulement que nous avions dévié de loin de notre trajectoire initiale. – Un peu, quand même. – Un peu, quoi ? – Vous regrettez un peu, quand même. »

A propos des enfants, l’air de rien, Blondel aborde des sujets pas vraiment politiquement corrects, voire tabous : est-ce être une mauvaise mère que de n’en plus pouvoir des cris de son bébé qui épuisent à longueur de journées et de nuits ? Pourquoi est-ce mal vu de reconnaître que l’on a envie de vivre aussi pour soi ? Et si les enfants n’étaient pas l’aboutissement ultime d’une existence ?

Comme toujours, Blondel retrace avec réalisme les parcours de vie de ses personnages, qui prennent chair avec une telle vérité qu’on croirait les connaître ou au moins les avoir déjà croisés.

J’ai revécu à travers Alex, la période où j’étais moi-même étudiant, plus vraiment dans l’enfance mais pas tout à fait dans la vie d’adulte pour autant. A tenter de voler de ses propres ailes, à essayer de joindre les deux bouts du mieux possible, à concilier ses études, sa vie amoureuse et ses potes.
« Alex, il est toujours tiraillé. Il veut être jeune et adulte, ouvrier et intellectuel. Il n’arrive pas à choisir. D’ailleurs, même pour écrire, il ne sait pas quelle main prendre. C’est sûrement pour ça qu’il est ambidextre. Il a couché avec moi, avec sa copine, mais en même temps, il aurait bien aimé se faire la Russe. Et peut-être même le prof ou son pote, Bastien, va savoir. Il est trop en offrande, Alex. C’est ça, son problème. Il cède vite. Il est d’accord. Il attend de avoir où ça va le mener. En même temps, je ne sais pas si c’est vraiment un problème. Parce que, pour l’instant, ça le mène ici. Ici où il est le centre d’intérêt de cinq personnes très différentes. C’est déjà énorme. »

Comme Alex, j’ai connu les regards étonnés, parfois amusés, voire incrédules, des gens qui n’auraient pas imaginé que je puisse faire un aussi bon baby-sitter qu’une fille. Et puis, se montrer rassurant. Combien de fois n’ai-je vécu cette scène :
« Quand Alex arrive, monsieur et madame sont habillés de pied en cap, et l’attendent. Monsieur porte une veste et un jean. Madame a ressorti une robe en laine beige qui doit dater d’une quinzaine d’années. Elle répète une fois de plus la litanie des conseils et des numéros de téléphone, telle une hôtesse de l’air avant le décollage. Les issues de secours se situent des deux côtés de l’appareil. Au moindre problème un masque d’oxygène et un portable se détacheront automatiquement de l’habitacle au-dessus de vous. La température extérieure est de quelques degrés au-dessus de zéro, et il faut veiller à ce que la progéniture ne se découvre pas trop. Alex hoche la tête comme un petit chien à l’arrière d’une voiture déclassée. Il a appris à faire ça. A prendre son air sérieux et pondéré et, du haut de son mètre quatre-vingt-treize, à devenir le Bon Géant sur lequel on peut compter. »

Indéniablement, par de nombreux aspects, Le baby-sitter a trouvé écho en moi.
Si les lecteurs fidèles à Jean-Philippe Blondel y retrouveront des thématiques chères à l’auteur, ils y découvriront une nouvelle variation douce-amère.
Que ceux qui ne le connaîtraient pas encore soient rassurés : on peut, comme moi, aimer ce roman sans raffoler de Pancol, ni des téléfilms de TF1.

Les premières pages du roman sont disponibles à la lecture sur le site de Buchet-Chastel.

Ce qu’ils en ont pensé :

Amanda : « On retrouve le ton délicat de Jean-Philippe Blondel dans ce roman, sa façon d’effeuiller ses personnages et découvrant petit à petit des couches de plus en plus sensibles, fragiles qui vont s’effriter peu à peu au fil des pages, révélant des failles colmatées tant bien que mal et des personnages brinquebalant leurs maux de vivre. »

BlueGrey : « Bref, une petite histoire agréable à lire, qui ménage son lot de surprises, de sourires et de pincements au cœur, un récit un peu inégal, un peu bancal, mais qui reste sympathique. »

Cuné : « C’est léger, doux, tendre. On apprécie la dernière partie où la narration est directement faite par quelques personnages, étoffant ce qu’Alex avait pu en percevoir jusqu’à lors. Pour autant ce n’est pas rose bonbon non plus, quelques drames viennent perturber les bons sentiments ».

Keisha : « Une jolie histoire racontée tranquillement, avec parfois un côté gavaldéen, qui ferait un chouette film aussi, tiens. »

Leiloona : « Le style est simple et les pages se tournent d’elles-mêmes. En somme, devant le lecteur, s’étale une tranche de vie bien réaliste. Un roman assez frais qui ne tombe pas non plus dans le guimauve puisque la vie se révèle parfois cruelle sans crier gare. »

Tamara : « Ce roman est, comme souvent chez J.P. Blondel, plein de sensibilité et d’humanité. Les personnages prennent vie sous sa plume et on s’attendrait presque à les croiser au coin de la rue. »

Thom : « Dans Le Baby-sitter, on retrouve (…) une forme d’humanisme, jamais lisse ou niaiseuse, toujours subtile et esthétiquement irréprochable. Il est vrai que si ce livre fait parfois penser à des facettes blondéliennes que l’ont n’avait plus entrevues depuis quelques temps, la qualité d’écriture poursuit sa progression constante, discrètement inventive. »

Le baby-sitter, de Jean-Philippe Blondel
Buchet-Chastel (2010) – 298 pages

Notes

[1] Depuis la rédaction de ce billet, d’autres avis se sont fait entendre parmi les lecteurs/trices.