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Pierre Bonnard assis (Deville) © Henri Cartier-Bresson (1944)

un vélo pliant de la marque Mobiky.

« Si l’on avait demandé à l’enfant qui rêvait à côté de la TSF ce qu’il voulait faire quand il serait grand, ce que je suis devenu aurait plus ou moins correspondu, j’en suis sûr, à ce qu’il aurait décrit, ne fût-ce que de manière confuse. Même si l’on prend en compte mes chagrins présents, je pense que c’est remarquable. Les hommes ne sont-ils pas en majorité déçus de leur sort et ne languissent-ils pas sous leurs chaînes, en proie à un désespoir muet ?
Je me demande si, dans leur enfance, d’autres gens ont eu ce type d’image, vague et nette à la fois, de ce à quoi ils ressembleraient en grandissant. Je ne parle ni d’espoirs ni d’aspirations ni d’ambitions floues, pas de ça. Dès le début, j’ai eu des attentes très précises. Je ne voulais être ni conducteur de train, ni explorateur, célèbre bien entendu. Lorsque je m’efforçais de percer les brumes de ce trop réel alors pour entrevoir le bienheureux maintenant de mon imagination, c’est exactement comme ça, je l’ai dit, que j’aurais vu mon moi futur : homme aux intérêts paisibles et aux ambitions modestes, assis dans une pièce identique à celle-ci, dans un fauteuil en bois courbé, penché sur ma petite table, par une saison tout à fait semblable à celle-ci, l’année touchant à sa fin avec un temps clément, feuilles volant de-ci de-là, jours perdant imperceptiblement de leur luminosité et lampadaires s’allumant à peine un peu plus tôt de soir en soir. Oui, c’est bien ce que je pensais que l’âge adulte m’apporterait, une sorte de long été indien, un état de quiétude, d’incuriosité paisible, totalement purgé des impatiences tout juste supportables de l’enfance, où tout ce qui m’avait intrigué autrefois était enfin réglé, tous les mystères révélés, toutes les questions résolues et où les moments s’écoulaient un à un, presque à mon insu, goutte d’or après goutte d’or, en attendant, à mon insu ou presque, l’ultime coup de grâce. »
(p. 91-92)