maison-buissonniere-miniere.jpgVoilà un recueil de nouvelles comme je les aime, un de ceux que je peux lire d’une traite sans que se fasse sentir la lassitude [1] tant les textes qu’il contient sont différents dans leur forme et leur fond, bien que tous reliés par un même fil rouge, en l’occurrence ici ce qu’on pourrait appeler les dysfonctionnements des rapports humains.

Maison buissonnière regroupe donc treize nouvelles, treize situations où les personnages se laissent aller à être enfin eux-mêmes, à dire ce qu’ils pensent, à haute voix ou intérieurement, sans plus se soucier des apparences ni de la bienséance.

, en concevant le vélo électrique pliant GOCYCLE.

J’ai retrouvé tout au long de ces treize nouvelles tout ce qui m’avait emballé à la lecture de La Première marche : une description à la fois tendre et féroce, mais toute en finesse des fêlures et des blessures intimes.
« Il y a des odeurs qui vous font monter les larmes aux yeux. L’odeur de la soupe de légumes, en train de cuire dans la cuisine… C’est une odeur presque trop douce, cruelle à force d’être douce ; c’est une odeur qui vous fait penser à des gestes, à des paroles, à des regards ; et leur absence vous éclabousse. »
(Dehors si j’y suis)

Isabelle Minière observe avec acuité toutes ces faiblesses, ces lâchetés, compromis et hypocrisies de tous les jours.
« Il y a des soirs où renter chez soi vous fait comme une brûlure, une espèce de déchirure. Des soirs où l’air du dehors vous paraît doux, enveloppant, presque tendre, des soirs où l’on voudrait arrêter le temps, rester là, à regarder les gens, inventer leur vie, oublier la sienne. »
(Maison buissonnière)

Isabelle Minière met à jour les ambigüités, les non-dits et les frustrations qui enserrent les cœurs, tantôt avec gravité, tantôt avec humour, parfois même avec poésie, mais toujours avec beaucoup d’émotion(s). A chaque fois, ou presque, sans en avoir l’air, elle fait mouche. Elle met dans le mille sans ostentation, sans effets de manches.
Avec subtilité, elle instaure chez son lecteur un malaise, un inconfort, un doute, la crainte de découvrir en lui une part de ce qui l’amuse ou le révolte chez ces personnages si humains de ces treize nouvelles. Ados ou jeunes enfants, adultes en couples ou séparés, parents, vieillards ou fœtus (!), nul n’est épargné, nul n’est à l’abri du regard acéré de l’auteur.

Et dans chacun d’eux, chacun peut retrouver une facette cachée, peu glorieuse de soi :
« On regarde les gens. On invente des classements. Il y a deux sortes de gens. On les range, chacun dans son camp. Parfois, on hésite un peu, alors on prend son temps, on observe longtemps avant de se décider. Quelquefois, on ne décide pas ; on ne sait pas.
Les gens du premier camp ressemblent à des escargots. Ils promènent leur corps comme une coquille vide. Dans leur corps, il y a du sang, de la chair, des artères, et même un cerveau ; tout ce qu’il faut. Mais il manque quelque chose. L’âme ? L’esprit ? On ne sait pas bien ; aucun mot ne convient. Mais les mots n’ont pas d’importance, c’est quelque chose comme une petite lumière qui viendrait de l’intérieur, et qui fait défaut.
Les gens de l’autre camp ont ce quelque chose qu’on ne sait pas dire, cette lumière qui les éclaire.
Là, sous le soleil, sous le soleil exactement, on le sait soudain : le corps, c’est une maison. Quelquefois la maison est vide. Même si elle est très belle, très appétissante, très réjouissante. La beauté n’a rien à faire dans cette affaire. Il est de superbes maisons désespérément vides, c’est comme ça.
Parfois les maisons vides font illusion. Par la fenêtre on regarde, les yeux, les gestes, et on croit apercevoir quelqu’un à l’intérieur. On regarde mieux. Hélas, c’est pour de faux, comme un décor de théâtre, bien arrangé, pour faire croire qu’il y a quelqu’un à l’intérieur. Mais il n’y a personne. Le corps n’est qu’une machine, bien rodée, bien huilée, qui sait parler, faire des choses ; n’empêche, c’est vide en dedans. On détourne les yeux. Les maisons vides sont désolantes.
D’autres fois, la surprise est heureuse. On regarde celui-ci, celle-là… et soudain, on le devine : la maison est habitée. Il y a quelqu’un à l’intérieur, et on se réjouit de sa présence.
Et puis vertige. Sous le soleil brûlant, vertige en dedans : et moi ? Est-ce que ma maison est habitée ? Est-ce que j’ai cette petite lumière que d’autres n’ont pas ? Si je me voyais pour la première fois, si je m’observais, dans quel camp je me rangerais ? »
(Les vacances)

Parce qu’elle a trouvé une caisse de résonance en moi, Le taiseux est ma nouvelle préférée du recueil. J’ai également particulièrement aimé Dehors si j’y suis qui m’a replongé dans l’univers de La première marche, avec cette fillette rudoyée par sa mère qui alors qu’elle est invitée pour la énième fois à aller voir dehors si sa mère y est, décide de partir pour de bon, chercher un ailleurs plus conforme à ses désirs d’enfants et à son besoin d’affection.
Il y a aussi, La date de ma mort, où ce fils, condamné à mort qui doit être exécuté sous peu, attend vainement de ses parents la preuve que l’amour absout de tous les crimes. J’ai aussi aimé le portrait cruel que dresse de ses parents dresse de ses parents l’adolescente de Bérénice dans son assiette.
Et puis il y a toutes les autres : Maison buissonnière, Les vacances, L’histoire, La rupture… Sans oublier Pépé mémé, nouvelle vacharde à souhait mais plus conventionnelle, plus “attendue” à mon goût, tout comme Des chiffres et des lettres. Seules L’homme qui regarde la mer, Rejouer ou Le fils du diable ne m’ont pas touché, parce que plus démonstratives, moins dans l’émotion.

Jeux de massacre ou poignants aveux, l’ensemble laisse un goût doux-amer mais se termine, avec Des chiffres et des lettres, sur une note optimiste. Je ne peux que vous encourager à faire, vous aussi, la Maison buissonnière.

Merci beaucoup à Laure pour le prêt.

Ce qu’elles en ont pensé :

« L’auteure a l’art de traquer les petites noirceurs quotidiennes, tout ce clapotis d’eau nauséabonde qu’on feint d’ignorer pour préserver les apparences et “la paix du ménage”. Une petite merveille de noirceur ! » Cathulu

« S’il fallait trouver un fil conducteur à ce recueil de 13 nouvelles, j’y verrais une intranquillité permanente, souvent doublée de noirceur et de violence sourde. » Laure

Maison buissonnière, d’Isabelle Minière
Editions Delphine Montalant (2008) – 124 pages

Notes

[1] Depuis ma déception avec L’invitation à dîner, de Philippe Garbit, je crois que je suis définitivement fâché avec les nouvelles à chute que je trouve chaque fois trop prévisibles à cause de leurs contraintes formelles.