heim-nous-disparaissonsNul ne le sait aussi bien que Donna.
La soixantaine, Donna refuse d’accepter que le lymphome qu’elle combat vaillamment depuis des années l’a finalement remporté. Qu’importe le cancer, elle se passionne toujours pour les disparitions d’enfants. C’est son obsession.

Vélo-électrique-pliant-MATRA-FX.

D’aussi loin que ses enfants, Scott et Lucy, s’en souviennent, elle a toujours découpé, archivé les coupures de journaux relatant ces disparitions. Il lui arrive même d’en tapisser le frigo ou les murs de certaines pièces de sa maison. Pas par voyeurisme malsain, non.
Simplement pour que les enfants disparus ne tombent pas dans l’oubli. Elle part à la chasse aux indices, va recueillir des témoignages, essaie de recoller les morceaux, de trouver quelque chose qui aurait échappé à la police et qui puisse aider à élucider ces affaires tragiques.
Alors que le petit Henry vient d’être retrouvé assassiné, elle décide de repartir sur le terrain. Elle demande à Scott de quitter New York pour l’aider à mener l’enquête dans le Kensas.

Dès son arrivée, Scott est frappé par l’avancée de la maladie chez sa mère. Conscient qu’elle vit ses derniers jours, il va accepter une nouvelle fois de jouer les détectives en sa compagnie, comme au bon vieux temps, lorsqu’il était enfant et qu’ils échafaudaient ensemble les scénarii les plus improbables pour expliquer les disparitions.
Mais quand Donna lui révèle un jour qu’elle-même a été enlevée quand elle était enfant, Scott commence à trouver que l’obsession de sa mère tourne à la démence. Ne seraient-ce pas les signes précurseurs de l’inéluctable progression du cancer ? Pourtant, le récit qu’elle lui a fait n’en est pas moins troublant. Le trouble de Scott s’épaissit quand Dolores, la voisine et meilleure amie de Donna, lui apprend que sa mère lui a raconté une toute autre version des événements.

Où est la vérité dans tout cela ? Donna n’aurait-elle pas inventé son histoire de toutes pièces pour que Scott accepte enfin de revenir à la maison ?
A mesure que l’intrigue progresse, les informations sont de plus en plus difficiles à démêler, les cas finissent par tous se brouiller, les photos des fillettes disparues ressemblent étrangement à Donna au même âge, tout comme celles des garçons rappellent de façon frappante Scott enfant.

Dès lors, on réalise que la recherche des enfants disparus n’aura été qu’un prétexte aux deux protagonistes pour se lancer dans une quête d’eux-mêmes.
Car de ce qui aurait pu n’être qu’une intrigue policière psychologique un peu morbide, un roman à l’ambiance pesante et glauque, Scott Heim a fait un hymne bouleversant et lumineux sur la force de l’amour d’une mère et d’un fils.

« Comme ça serait réconfortant, après toutes ces années, de connaître la vérité. La délivrance. La paix absolue qui l’accompagne. »

Nous disparaissons est un roman non dénué de poésie sur la puissance du lien qui unit deux êtres abîmés par la vie : Donna, sorte de mère courage borderline, ex-gardienne de prison, ex-alcoolique, veuve par deux fois, au stade ultime de la maladie et Scott, trentenaire homosexuel paumé, malheureux dans sa vie privée et professionnelle, toxico accro à la meth.
Tout au long de ce qui va être leurs derniers moments ensemble, tous deux vont tenter de se sauver l’un l’autre, de se soutenir et d’éviter que l’autre ne disparaisse, Donna rongée par le cancer, Scott détruit par les drogues.

Les personnages secondaires du roman sont tout aussi cabossés et humains : Dolores, vieille alcoolique, plaquée par son mari, toujours présente aux côtés de Donna a qui elle témoigne une amitié indéfectible ; Ottis, ado rebelle en fugue…
Scott Heim n’en fait pas mystère [1]: il y a une forte inspiration autobiographique dans ce roman, qu’il dédie d’ailleurs à sa mère, récemment décédée.

Nous disparaissons revisite les thèmes de Mysterious skin, le précédent (magnifique) roman de Scott Heim : l’enfance détruite, la résurgence de souvenirs douloureux, la difficile mais nécessaire reconstruction.
Nous disparaissons est un très beau roman plein d’espoir, dans lequel la pudeur et la délicatesse de Heim font des miracles. Il aurait certainement été plus percutant encore sans certains excès de scénario qui déservent le récit et l’affaiblissent. Dommage. Ça n’en reste pas moins un très bon roman.

Lily, qui m’a donné envie de lire ce livre, considère que Nous disparaissons est :
« Un très beau roman d’amour maternel et filial, sous forme de quête d’identité, abordant tout en délicatesse la mort et l’agonie d’une femme malade, qu’accompagne jusqu’au bout son fils (mais ne serait-ce pas plutôt l’inverse), un homme aussi perdu qu’elle, que la vie « efface » aussi d’une certaine manière, peu à peu, cruellement. A découvrir absolument. »
Rose, elle aussi tentée par le billet de Lily, a trouvé dans Nous disparaissons :
« l’idéal du roman policier : pas de retournement de situation virtuose, mais la révélation progressive, fragile, incomplète, d’une vérité intime, finalement sans grand éclat… et donc terriblement émouvante. Au-delà de l’intrigue “policière”, il s’agit d’un très beau roman sur l’amour filial. Tout se dit à travers des détails très concrets et merveilleusement évocateurs.  »

Le teaser vidéo diffusé pour la sortie de Nous disparaissons traduit bien l’ambiance du roman (pas comme la couverture française d’un cucul la praline achevé).
Le site officiel de Scott Heim.

Nous disparaissons, de Scott Heim
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Christophe Grosdidier
Au Diable Vauvert (2009) – 379 pages

Notes

[1] voir l’interview écrite sur le site Zone Littéraire et les podcasts de Dimitri Granowsky