djian-impardonnablesComme beaucoup de gens de ma génération, c’est dans les années 80 que j’ai ouvert mon premier Philippe Djian, en l’occurrence 37°2, le matin, découvrant un style et un univers novateurs pour l’époque, une étape dans une vie de lecteur dont on se souvient comme de sa première cigarette ou de son premier baiser.
Au cours de ces vingt dernières années, certains lui sont restés fidèles, d’autres, comme moi, l’ont déserté.
Et voilà qu’avec Impardonnables, les médias claironnent haut et fort le grand retour aux sources du romancier, revenu à son meilleur niveau, celui auquel il doit sa notoriété et cette étiquette (forcément réductrice) d’écrivain-rock, snobé par le sérail.
La tentation de “retomber en jeunesse”, l’envie de revivre les mêmes sensations qu’à l’époque, la curiosité de savoir si le miracle se répèterait étaient trop fortes. J’ai donc lu Impardonnables.

Et alors, si on oublie tout le tintouin marketo-médiatique, il est comment le dernier Djian ? Elles se sont passé comment ces retrouvailles ?
Le plaisir, car plaisir indéniablement il y a eu, a été paradoxal : pour toutes les raisons qui ont fait que ce roman m’a plu, d’autres ont gâché mon plaisir.

Un vélo pliant ultra leger.

De Philippe Djian, j’avais gardé le souvenir d’une écriture syncopée. Dans Impardonnables, l’écriture est fluide, dépouillée de toute fioriture stylistique. Cette sobriété de l’écriture évite au récit de sombrer dans un pathos de bazar.
Il y aurait pourtant matière : Francis, écrivain à succès en panne d’inspiration, a vu sa femme et une de ses filles brûler vives dans un accident de voiture dix ans plus tôt. Rescapée, sa fille cadette, après un parcours chaotique lourdement saupoudré de drogues en tout genre, devenue star de cinéma en vue, a disparu. Fugue, enlèvement ? Rongé par l’angoisse, Francis doit dans le même temps gérer la crise qu’il traverse avec sa nouvelle épouse, Judith.
Mais ce côté faussement “brut” du texte, derrière lequel on devine le travail nécessaire pour atteindre un tel niveau de simplicité apparente, a tendance à créer entre le lecteur et les personnages une distance comparable à celle que le narrateur, Francis, entretient avec ses semblables et la vie en général. Malgré tout, ce regard sans aménité que Francis porte sur lui-même et sur les autres n’est pas dénué d’une certaine tendresse qui empêche de rester totalement “à côté”.
« Lorsque j’y réfléchissais, je devais admettre que l’on ne connaissait rien de la douleur d’autrui, qu’il n’y pas d’étalon, que l’on pouvait être surpris, stupéfait, abasourdi par les dégâts qu’on occasionnait cher les autres. Comme de tuer quelqu’un d’un coup de poing dans une bagarre de rue. Je ne savais rien, au fond, du mal que je lui avais fait. Je ne savais pas si elle me rendait les choses au centuple ou si j’étais encore loin du compte. »

Faite d’allers-retours entre présent et passé, déstructurant la chronologie du récit, la composition du roman peut sembler plus complexe par comparaison. De fait, chaque fois qu’est donnée une information, le lecteur est obligé d’adapter et de corriger le regard qu’il portait jusque-là sur les personnages. L’usage fréquent d’ellipses par Djian met également le lecteur est à contribution. Certains peuvent s’en trouver gênés ou considérer ce choix comme une facilité de la part de l’auteur. Personnellement, j’aime qu’on ne me donne pas tout mâché et qu’on me laisse tout loisir à “remplir les cases”.

Second paradoxe, si j’ai trouvé l’histoire d’Impardonnables quelconque, sans réel attrait (les moments de suspens sont vite éventés, les rebondissements sont attendus…), j’ai beaucoup aimé les thématiques qui y sont développées, et la manière dont elles sont développées, ce qui semblera certainement une évidence aux fans de Philippe Djian. Lors d’un récent tchat sur L’Express.fr, ne réitérait-il pas sa conviction que le style en littérature est « Vraiment tout. Il n’y a rien d’autre. Rien ne sert de remâcher le reste » et qu’il n’y est plus question d’histoire ou de personnages « depuis Shakespeare »? Impardonnables est là pour prouver qu’il reste fidèle à ses principes.

Bien entendu, comme son nom l’indique, Impardonnables traite du pardon. Ils sont nombreux les personnages impardonnables dans ce roman, à commencer par le narrateur qui, suite à son adultère, n’a pas réussi à gagner le pardon de sa femme, morte prématurément. Francis lui-même réussira-t-il à pardonner à sa fille Alice, à sa nouvelle femme, Judith ?
Doit-on pardonner ? Peut-on tout pardonner ? Peut-on accorder son pardon à tout le monde ? Autant de questionnements qui ne manqueront pas de poursuivre le lecteur pendant, et à après, avoir lu ce livre.
« Le pardon existe-t-il dans ta religion ? demanda-t-elle en observant les rideaux de pluie fumante qui dansaient dans le jardin, se disloquaient contre les baies.
– Ça dépend pour quoi. Vivre ensemble signifie partager certaines valeurs. S’entendre sur les points au-delà desquels on ne peut pas aller. Dans ce cadre, le pardon existe. »

Même si, autre paradoxe, j’ai regretté qu’à ces occasions le personnage de Francis soit phagocyté par celui de Djian l’auteur, j’ai aussi beaucoup aimé la réflexion sur l’écrivain, son travail, son rapport à la vie. A mille lieues de l’image d’Epinal, Djian montre la fragilité du romancier, la difficulté de son travail…, mais aussi comment il se sert de l’écriture pour se couper du monde réel, et ce que tout cela implique comme sacrifices vis-à-vis de soi et de ses proches.
« Rien n’était plus dur que d’écrire un roman. Aucune besogne humaine ne réclamait autant d’efforts, autant d’abnégation, autant de résistance. Aucun peintre, aucun musicien n’arrivait à la cheville d’un romancier. Tout le monde le sentait bien.
Il m’arrivait de serrer si fort les dents au milieu d’une phrase que la pièce tout entière se mettait à siffler. Hemingway ne racontait pas autre chose. L’herbe ne verdissait pas toute seule. Le paysage ne filait pas derrière la vitre par enchantement. »

« Perdre un lecteur est pire que de recevoir cent coups de fouet. Perdre un lecteur est une terrible sanction. »
Il opina mollement. Il n’était pas facile d’expliquer comment l’on pouvait passer trente années devant une page blanche et encore moins que le moteur de cette folie était le style – ce gouffre, cette prison, cette tanière d’où l’on parlait de l’absolue nécessité d’une phrase, de sa beauté, de sa vibration secrète, sans ciller ».

« Je songeais à me remettre à l’écriture d’un roman pour dresser un rempart autour de moi, j’y songeais sérieusement. (…) le retour au roman semblait s’imposer. Son épreuve semblait s’imposer. Écrire un roman requérait tant d’énergie que tout le reste passait au second plan. C’était l’avantage. »

Je thème, moi non plus. Au final, ces retrouvailles me laissent donc un goût d’incomplétude. Car si j’ai effectivement beaucoup aimé les thèmes abordés et leur traitement, je ne suis pas comme Philippe Djian, le style seul ne suffit pas à mon plaisir de lecteur. Pour que mon bonheur soit complet, j’aurais apprécié que l’histoire me tienne en haleine.

Ce qu’ils en ont pensé :

« Alors, au final, que dire ? La plume, le style à la fois haché et finement travaillé. Le personnage de Francis est subtilement dessiné. Seul bémol, les quelques clichés qui surgissent ici ou là. » Amanda
« Impardonnables, le nouveau roman de Philippe Djian, pourrait être un roman vraiment bon… Hélas, à vouloir trop en faire, l’auteur rate complètement la fin et laisse son lecteur frustré… » Anne-Sophie
« La magie n’a pas fonctionné, je trouve que c’est un roman sympathique mais dont les rouages sont apparents. L’atmosphère “Djian” est trop ténue, les choses sont trop claires, paradoxalement, les mots prennent trop de distance pour qu’on s’imprègne. Pour que JE m’imprègne… » Cuné
« C’est pas mal, mais franchement pas bouleversant, au point qu’en bonne rabat-joie, j’ai un peu de mal à comprendre l’engouement que cet auteur suscite. » Fashion
« Un très beau roman porté par une belle plume, un style très travaillé sans en avoir l’air le moins du monde, sans aucun maniérisme, aucun heurt, chaque phrase rebondit sur la suivante ou s’achève à point nommé, sur le mot juste, celui qui sonne. Et puis c’est tout. Ça paraît presque facile, rien ne l’est moins. » Lily
« C’est un roman noir qui ne laisse pas indifférent. Une semaine après avoir fini ma lecture, j’y pense encore, je me pose des questions sur la psychologie de Francis. » Sylire
« Impardonnables est juste un excellent roman noir à l’écriture revêche et à la simplicité renversante. Rien que de très normal au pays de Philippe Djian. » Thom

Les premières pages sont disponibles au format PDF dans l’annexe jointe à ce billet.
Également en annexe, le texte de la chanson qui donne son titre à ce billet, Confettis, que Philippe Djian a écrit pour Stephan Eicher, et dans lequel il est aussi question de l’impossibilité à pardonner.

Impardonnables, de Philippe Djian
Gallimard (2009) – 233 pages