« Tu finiras par haïr cette distance que ton comportement de star des planches crée entre toi et les autres, haïr cette incapacité des comédiens à vivre dans le réel car le réel de la scène c’est autre chose, ça parle du réel, ça donne à voir le réel peut-être plus que la vie même, mais ce n’est pas le réel, on te regarde, on te regarde vivre, tu respires, tu te déplaces, tu parles et tu écoutes, tu touches et on te touche, on te regarde vivre et on t’écoute mais ce n’est pas la vie. »
(p.73)
« Comme un enfant plonge dans Pierre et le Loup pour la centième fois, j’écoute l’histoire dont je connais l’issue et pourtant je frémis, prie pour que le canard parvienne enfin à courir plus vite que le loup. Jamais je ne cesserai d’espérer que le canard distance le loup. Enfant, je n’ai jamais cru qu’il suffisait d’ouvrir à la dernière page le ventre du loup à la fin pour en extraire le canard vivant, je n’y croirai jamais. »
(p.129)
« J’aime vivre en sous-régime.
Voilà ce que je reconnais à bientôt quarante ans.
L’idéal serait de me réveiller chaque matin sans réveil, de manger à ma faim, de travailler le temps d’écrire les mots qui me vont, d’avoir l’occasion d’aimer et de sentir qu’on m’aime. Un petit week-end à la campagne par-ci, un autre par-là, un bon film à regarder, un grand livre dans lequel me fondre, parfois une semaine de vacances, au soleil s’il vous plaît, de la musique dans les oreilles et le tour est joué. »
(p.136)
« Ce qui est dit existe. C’est ce qui a été dit qui existe, ce qui a été nommé. Voilà pourquoi je te raconte qui je suis, d’où je viens. Je déteste mettre en mots d’où je viens, par où je suis passé pour devenir celui que je suis, mais je dois nommer cela car je souhaite exister pleinement auprès de toi, être là. Ces mots doivent impérativement sortir de ma bouche pour que je m’incarne là. J’ai tenté de faire autrement (par lassitude, parce que je me suis déjà révélé à d’autres avant toi), j’ai tenté de te rassurer par mes actes mais cet effort est vain, je m’en aperçois maintenant. Tu ne pourras me sentir présent auprès de toi tant que je n’aurai pas prononcé les mots qui me disent. Je ne sais pas prononcer les mots qui rassurent mais ceux qui me disent. Je compte sur toi pour entendre mes mots, les écouter pendant qu’ils te traversent. Et je compte sur toi aussi pour ne pas te les approprier. Ils sont et resteront les mots qui me révèlent. Ils ne seront jamais les mots qui disent que je t’appartiens.
J’écouterai les tiens. Je m’efforcerai d’entendre tous les mots que tu voudras bien me dire, qui te permettront de prendre totalement chair à mes côtés. Je te reconnais, te respecte, respecterai l’être que tu es. Je sais que tu me reconnais et si jour après jour tu respectes celui que je suis, alors je ne me laisserai pas aller à ma peur de vivre et nous parlerons d’amour. »
(p.219)