tropper-livre-joeOn ne choisit pas ses parents, ni sa famille, on est tous nés quelque part (comment ça, c’est pas de moi ?).
Pour Joe Goffman, ce quelque part s’appelle Bush Falls, bourgade du Connecticut qu’il a fuie à l’adolescence, sans jamais y remettre les pieds. S’il y retourne dix-sept ans plus tard, ce n’est pas par pur plaisir. Il n’a tout simplement pas le choix : son père, dans le coma, est en train de mourir.

– Conçu pour faciliter le transport des objets de mon quotidien sur un vélo pliant.

Si en près de vingt ans, rien à Bush Falls n’a bougé d’un iota, Joe, lui, est devenu un auteur à succès après la publication de son premier roman autobiographique qui dénonce, avec plus ou moins d’exagération, les petitesses de ses ex-concitoyens.
Il habite les beaux quartiers de Manhattan et roule en voiture de luxe. Il affiche tous les signes de l’homme à qui tout réussit, tout au moins en apparence. « N’importe quel pauvre type peut être malheureux quand ça ne marche pas fort dans sa vie, mais il faut vraiment appartenir à une élite particulière, un genre de nouvelle avant-garde du pauvre type, pour se sentir malheureux quand on a autant le vent en poupe. A trente-quatre ans, j’ai de l’argent, du succès, des rapports sexuels réguliers et un quatre pièces luxueux à Manhattan dans l’Upper West Side. De quoi vous donner a priori l’impression de tenir le monde par l’entrejambe pour rester poli. Et pourtant, récemment, j’ai commencé à me demander si je n’étais pas au fond qu’un sale connard seul au monde, et ce depuis longtemps déjà. »

Son retour à Bush Falls ne passe pas inaperçu. C’est un euphémisme de dire que tous les gens qu’il a écornés dans son best-seller voient sa présence dans leur petite ville d’un mauvais œil. Certains n’hésiteront pas à lui signifier à leur façon ce qu’ils pensent de sa prose. « Statistiquement parlant, il est quasiment impossible d’écrire un best-seller. De même qu’il est très difficile de se mettre une ville tout entière à dos. En digne perfectionniste que je suis, j’ai réussi à faire d’une pierre deux coups. Dès qu’il s’agit de se faire remarquer, j’ai toujours été un enfant prodige »

Mais ces réactions à fleur de peau ne sont pas les plus difficiles à gérer pour Joe qui a beaucoup plus de mal à faire face à la résurgence de ce passé qu’il n’a eu de cesse d’enfouir (de fuir) au plus profond de lui et d’oublier : le suicide de sa mère, les relations – au mieux tendues, au pire indifférentes- qu’il entretient avec son père et son frère ainé ; la séparation d’avec ses meilleurs amis, Wayne et Sammy ; la perte de son amour de jeunesse, Carly…

Le livre des ombres. En a-t-on jamais fini avec les blessures de son enfance ? Peut-on rompre avec ses racines ? Pourquoi l’image que l’on donne ne correspond-elle jamais fidèlement à ce que l’on est ? L’argent et le succès suffisent-ils à combler une existence insatisfaisante ? Voilà quelques-unes des questions abordées par Jonathan Tropper dans Le livre de Joe.

En butte aux fantômes de son passé, Joe va connaître à Bush Falls une série de péripéties qui l’aideront à devenir –enfin !- adulte. Chez Tropper, c’est humour, burlesque et ironie, à toutes les pages. « Lorsque le coup de fil d’une ex-petite amie schizo s’annonce comme le meilleur moment de la journée, on peut en déduire sans trop se planter que c’est vraiment la débâcle. » « On est en droit de s’inquiéter sur l’originalité de son existence lorsque celle-ci se voit résumée à la perfection dans les paroles d’un morceau de pop-rock. » Mais c’est pour mieux vous surprendre par l’émotion au détour d’une phrase ou d’un dialogue.
D’ailleurs, mention spéciale aux talents de dialoguiste de Tropper qui sont pour beaucoup dans la charge émotionnelle du roman. « Cette journée a été précieuse, déclare Wayne avec emphase. Beaucoup d’autres l’ont été aussi, plus tard, mais pas autant que je l’aurais voulu. J’y ai souvent réfléchi. Qu’est-ce qui fait qu’un jour comme celui-là compte plus qu’un autre, et pourquoi y en a-t-il de moins en moins, à mesure qu’on vieillit ?
– Et quelle est la réponse ?
– C’est très simple, en vérité. On faisait ce qu’on avait envie de faire plutôt que ce qu’on était censés faire. »

La galerie de personnages est bien troussée, même si on y retrouve les figures imposées du genre qui finissent par donner au roman des airs d’Ensemble c’est tout, phénomène qui s’amplifie vers la seconde moitié du roman.
Peut-être à cause du personnage de Wayne, malade agonisant, aux portes de la mort, mais toujours digne et ne se déparant à aucun moment de son sens de la répartie. « Etre gay, c’est comme de suivre un cours accéléré sur la nature humaine, dit-il. Votre premier contact avec la face cachée et peu reluisante des conventions sociales. Un être plus faible de caractère, ajoute-t-il avec un rictus ironique, pourrait en devenir amer à vie. »
Peut-être aussi à cause du happy end de rigueur (serais-je devenu dangereusement cynique) ? Cela dit, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire Le livre de Joe, qui s’il est un véritable “page-turner”, n’est pas le chef-d’œuvre annoncé auquel je m’attendais.

Patch est dithyrambique ; Florinette et Agapanthe ont également beaucoup aimé.
Comme moi, Chimère est plus réservée, tout comme Olivier et Matoo.

Le livre de Joe, de Jonathan Tropper
Traduction : Nathalie Peronny
10/18 – 411 pages