Si vous avez déjà entendu parler de L’agneau carnivore, d’Augustin Gomez-Arcos, vous n’êtes pas sans savoir que ce roman paru en 1975, puis en poche chez Points en 1985, est malheureusement épuisé depuis des années. C’était déjà le cas lorsque ce roman m’avait été conseillé. Mais à cette époque, on pouvait encore en dégoter quelques exemplaires chez les bouquinistes ou sur le net, souvent à des prix indécents d’ailleurs.
Le bouche à oreille aidant, la réputation de ce roman n’a cessé de grandir, pour devenir culte. Tant et si bien que depuis plusieurs années, il est devenu totalement impossible de le trouver.
Les éditions Stock viennent enfin de réparer cette injustice en re-publiant L’agneau carnivore, avec sa couverture d’origine.
Ce modèle est un ovni dans le monde du vélo pliant.
Si jusqu’à maintenant vous ignoriez l’existence de ce roman et de son auteur, voici de quoi il retourne. Quand l’enfant ouvre les yeux pour la première fois, après être resté les seize premiers jours de son existence sans émettre un seul cri, ni esquisser un seul geste, sa mère, déçue de ne pas avoir enfanté un monstre, s’en désintéresse illico et le fait transférer dans la chambre de son fils ainé. « C’est à partir du moment où elle, maman, m’a dit : “Je ne t’ai pas voulu” que j’ai entrepris de remonter dans mon passé larvaire et commencé d’y voir clair. La rancune était née du jour où mon fœtus avait trop gonflé, l’empêchant de se pencher élégamment sur son damné rosier. »
De cet enfant, qui est “je”, le narrateur, on ne connaîtra le prénom qu’à la dernière phrase du roman. Dans cette famille bourgeoise, entre une mère névrosée et un père absent, l’enfant grandit dans l’amour de ce frère qui le protège et lui fait découvrir le monde. Un amour qui n’aura d’égal que la haine viscérale qu’il vouera à sa génitrice.
Le temps passe. Le narrateur est devenu un jeune homme. Le père s’est laissé dépérir. La mère est morte, non sans avoir livré quelques secrets de famille dans une déchirante confession. Puis, le frère tant aimé part pour l’Amérique. Peu de temps après, le narrateur lui-même va être contraint à l’exil suite à la banqueroute familiale.
Il ne rentrera au pays que le jour où son frère lui télégramme son retour. Dès lors, il va passer son temps à attendre son frère tout en préparant la demeure familiale pour l’accueillir « Je t’aime. Les yeux fermés, j’ouvre la bouche pour dire ces mots neufs – des mots qui sont comme des chiffons usés dans la bouche des autres, mais qui s’inventent dans la mienne ; je les articule soigneusement pour ne pas risquer de perdre une syllabe dans le vide, pour ne pas risquer un cataclysme. Je découvre que, pendant ces sept ans de mon manque de toi, je suis parvenu à la sérénité. La maison est prête, je suis prêt. Le printemps est né. Je n’ai plus besoin d’ouvrir les yeux tant que je n’entendrai pas tes pas résonner sur le gravier du jardin, ta clé tourner dans la serrure, tes mains pousser la porte. Les yeux fermés… en ce début de printemps qui s’annonce comme un miracle… Je t’attends… mon frère… mon frèramour. »
Au-delà du portrait sans concession de cette famille bourgeoise traumatisée, retranchée dans l’univers clos et étouffant de sa maison, Augustin Gomez-Arcos épingle l’Espagne franquiste et bigote. Seule la bonne, l’insoumise Clara, la résistante “rouge”, trouve grâce à ses yeux. C’est grâce à elle que le narrateur va se frotter au monde extérieur et découvrir les origines du traumatisme familial.
Victime lui-même de la censure du régime de Franco, Gomez-Arcos a du fuir l’Espagne pour se réfugier d’abord en Angleterre, puis en France où sera publié son premier roman (écrit en français), ”L’agneau carnivore’’, prix Hermès 1975. Il est décédé à Paris en 1998 des suites d’un cancer.
C’est fort, violent, superbement écrit et bien entendu, politiquement incorrect, donc indispensable. Un de ces romans choc qui marque une vie de lecteur. Maintenant, vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous ne voulez pas avoir à patienter vingt nouvelles années pour être en mesure de vous le procurer et pouvoir le découvrir.
L’agneau carnivore, d’Augustin Gomez-Arcos
Stock Bibliothèque cosmopolite – 305 pages