Séville, 1630. Miguel de Erauso vient d’avoir quarante-six ans. Sentant le temps peser sur ses épaules, il décide d’écrire ses mémoires. « Ecrire pour moi et pour les ombres de celles et de ceux qui m’ont aimé et qui m’ont aidé tout au long de ma quête. (…) Mais j’écris aussi pour elle, ma cible et ma proie : Catalina de Erauso, ma tante et mon ennemie. (…) Catalina la fière, la colérique, la meurtrière… Catalina la fugitive. Créature singulière, énigmatique. Homme et femme. Duelliste et dévote. Personnage héroïque qui mit tout en œuvre pour créer sa propre légende. Elle appartenait à la race des conquérants sans foi ni loi, capables de changer le cours de l’Histoire à la pointe de l’épée. Catalina la Conquistadora. »
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Dans l’Espagne du XVIIe siècle, Catalina est une légende vivante, connue à travers tout le pays comme la “nonne soldat”. Ses mémoires sont devenus célèbres ; sa vie aventureuse fait même l’objet de plusieurs pièces de théâtre à succès. Il est vrai que le destin de la Monja Alférez, la nonne lieutenant, n’est pas banal : fille d’une famille noble du Pays Basque, elle s’enfuit du couvent à l’âge de quinze ans, à la suite d’une altercation avec l’une des supérieures. Pour ne pas être reconnue et devoir retourner au couvent, elle se coupe les cheveux et s’habille avec des vêtements masculins. Dès lors, elle se fera passer toute sa vie pour un homme, empruntant au gré de ses rencontres des identités différentes. «Mais la passion de la liberté qui l’avait poussée à s’échapper du couvent la poussait à nouveau sur la route, sans qu’elle eût une idée précise de son avenir ni qu’elle éprouvât une quelconque inquiétude. Cette liberté m’effrayait. Quel cœur était le sien ? Que cherchait-elle ?»
Elle va mener ainsi une vie d’errance qui la conduira de l’Espagne au Nouveau Monde où ses faits d’armes lui vaudront d’être promue lieutenant dans l’armée espagnole et d’être récompensée par le roi Philippe IV.
Bien qu’elle soit sa tante, Miguel de Erauso ne partage ni l’enthousiasme ni l’admiration de ses contemporains pour la nonne soldat. D’un caractère impétueux, exacerbé par sa passion dévorante pour le jeu, Catalina s’est également rendue célèbre pour les duels à l’épée dont elle est toujours sortie victorieuse. C’est justement lors de l’un de ces fameux duels qu’elle aurait tué son frère, le père que Miguel n’a jamais connu. «Catalina de Erauso. Nonne et militaire. Meurtrière de son frère. Une Erauso devenue l’ennemie.»
Depuis le décès de sa mère, morte d’épuisement à force d’avoir parcouru le monde à la recherche de l’assassin de son époux, Miguel n’a qu’une obsession : retrouver Catalina pour venger la mort de son père et honorer sa mère. A partir des Mémoires de Catalina et des témoignages de personnes qui l’ont connue, Miguel va entreprendre une course effrénée sur les traces de sa tante, de l’Espagne à l’Amérique du Sud, en passant par les Caraïbes. «A mon tour, je quittai Donostia, décidé à suivre pas à pas le chemin parcouru par la novice dissimulée sous les traits d’un jeune homme, tout chargé de cette bravoure insolente et unique de l’hidalgo.»
Roman épique et voyage initiatique, La Conquistadora est un récit d’aventure foisonnant mêlant à un rythme trépidant personnages baroques et flamboyants (brigands, pensionnaires de bordel, indiens du Nouveau Monde…) et rebondissements propres au genre. Mais chaque fois que Miguel est sur le point d’atteindre Catalina, celle-ci est déjà ailleurs, lancée dans une autre aventure. «Je compris que la force de travail et l’extraordinaire capacité d’apprentissage de Catalina étaient tout entières tournées vers un seul but : partir. Son existence, sa personne même paraissaient contenues dans cet acte.»
Mais, outre la qualité de la reconstitution historique et le style impeccable, ce qui fait la richesse de ce roman qui pourrait n’être qu’un gentil divertissement à l’image du Chirurgien Ambulant de Wolf Serno, c’est sa dimension psychologique. Chacune des personnes que Miguel va rencontrer au long de son périple lui donne un éclairage supplémentaire sur Catalina, personnage mystérieux s’il en est. Peu à peu, la haine qui motivait sa traque va se muer en un complexe sentiment de fascination/répulsion. Poursuivant néanmoins son objectif au seul motif de la parole donnée à sa mère mourante, Miguel est assailli par les doutes et ressent malgré lui de l’empathie pour cette femme rebelle et indépendante qui finalement lui ressemble en de bien des points. «Après plus de cinq ans passés à interroger les gens qui l’avaient rencontrée, à parcourir les territoires qu’elle avait parcourus, à mener la vie d’errance, de violence et de meurtre qu’elle avait menée – car j’avais tué, moi aussi -, j’éprouvais le sentiment de la connaître. Il me semblait pouvoir deviner ses pensées, ses réactions. J’étais prêt à l’affronter. Seule subsistait la question essentielle : Catalina était-elle encore vivante ?»
Une fois commencé, La Conquistadora ne se lâche plus, tant le lecteur, ballotté dans le sillage de Catalina, se demande si Miguel rencontrera ou non sa tante et quelle tournure prendra alors leur confrontation.
Le personnage de la nonne lieutenant est tellement extraordinaire que j’ai d’abord cru qu’il était tout droit sorti de l’imagination d’Eduardo Manet, inculte que je suis. C’est en découvrant la bibliographie citée par l’auteur à la fin du livre que j’ai appris que Catalina de Erauso a bel et bien existé.
Pascal, le Bibliomane, a également été emballé.
La Conquistadora, d’Eduardo Manet
Éditions Robert Laffont – 293 pages