romer-cochon-allemandAu Danemark, dans les années 1960, la seconde guerre mondiale n’est toujours pas terminée. Le ressentiment envers les Allemands, tous les Allemands sans distinction, qu’ils aient été résistants ou partisans du nazisme, est encore virulent.
Le petit Knud va en faire la triste expérience, devenant la bête noire favorite de ses camarades de classe, mais aussi des habitants de son petit village. «Nykøbing Falster est une ville si petite qu’elle se termine avant même d’avoir commencé. Quand on est dedans, on ne peut pas en sortir, et quand on est dehors, on ne peut pas y entrer. Dans les deux cas, on se retrouve du mauvais côté, et la seule preuve de son existence est l’odeur qui imprègne les vêtements : en été ça sent les engrais, en hiver la betterave à sucre. C’est à cet endroit que je naquis en 1960, et c’était la façon le plus sûre de ne pas exister du tout.»

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Pendant des années, il va être ce “cochon d’Allemand”, injure inscrite dans sa chair comme une marque au fer rouge, rebattue jusqu’à la nausée et subir les humiliations des autres gamins de son âge «Le seul cadeau que je souhaitais pour mon anniversaire, c’était ne pas avoir d’anniversaire. Pendant la nuit de la veille, je m’imaginais que ce jour serait escamoté, oublié par tout le monde, mais cela n’arrivait jamais (…). Il y avait tout ce que mes parents étaient en état de m’offrir : un vélo, un optimiste, un vélomoteur pour mes quinze ans – et tout cela j’allais en être dépossédé au cours d’une seule journée ; tout allait être crevé, coulé, démoli. En soufflant les bougies et en ouvrant le dernier paquet, j’espérais y trouver une bombe qui ferait sauter la planète entière.»
Knud bénéficie de ce “traitement de faveur” tout simplement parce que sa mère est Allemande. Qu’elle ait été décorée pour sa résistance active au nazisme n’y change rien aux yeux des habitants de Nykøbing. Ainsi, «La Seconde Guerre mondiale ne prit jamais fin pour ce qui concernait mes parents et notre famille, Nykøbing demeurait une ville occupée.» «Le seul sentiment que m’inspirait Nykøbing était la peur ; je n’osais pas sortir dans la rue, faisais de longs détours quand je devais me rendre quelque part, et par conséquent, arrivais toujours en retard.» L’enfance de Knud s’écoulera dans la douleur.

Mon pays, ma douleur. Une maison d’édition que je ne connais pas, une rencontre avec l’auteur à laquelle je n’ai pu assister, des commentaires élogieux tant dans la presse que dans les blogs, une couverture au graphisme original, voilà autant de raisons qui m’ont donné envie d’en savoir plus sur Cochon d’Allemand. J’ai entrepris la lecture de ce livre avec l’idée qu’il s’agissait de souvenirs d’enfance d’un petit garçon devenu le souffre douleur préféré des autres enfants du village, une guerre des boutons version danoise en somme.
En fait, il s’agit de bien plus que cela : si c’est bien Knudchen, le petit Knud, le narrateur, il n’est pas le personnage principal du roman. Il est celui qui fait la liaison entre les différents membres de la famille. Par une succession d’anecdotes, Knud Romer va remonter l’arbre généalogique familial, de la branche danoise paternelle à la branche allemande maternelle, et camper avec humour une galerie de portraits hauts en couleurs : le grand-père paternel, entrepreneur éternellement mal inspiré, le grand-père maternel, Papa Schneider, dont la forte personnalité écrase son entourage et dont tout le monde, sauf sa femme, ignore le prénom, la grand-mère maternelle défigurée par une explosion. Il y a aussi l’oncle Helmut, qui offre à Knud des éclats de la grenade qui l’a blessé pendant la guerre ; un autre oncle, Heinrich, tyrannisé par sa femme, la démoniaque tante Ilse…

Mais de tous ces personnages, un se détache tout particulièrement : celui d’Hildegarde, la mère de Knud. C’est elle, le personnage principal de Cochon d’Allemand, sa présence tourmentée illumine chacune des pages du roman. Hilde est une très belle femme, une fière prussienne farouchement indépendante, que la vie n’a pas épargnée : une enfance difficile avec un beau-père sévère, un fiancé arrêté et exécuté sommairement par les nazis, une belle-famille qui refuse d’assister à son mariage sous prétexte qu’elle est Allemande, des villageois qui l’insultent et des commerçants qui lui vendent des produits périmés et avariés… Et elle qui fait front, toujours, orgueilleuse et volontaire, un verre de vodka à la main et le cigarillo aux lèvres, souvent. «Elle ne tenait que par sa seule volonté, alors elle se refermait sur elle-même et serrait les poings. Ils ressemblaient à des grenades, les nœuds luisaient, blancs. J’aurais donné ma vie pour la rendre heureuse, je prenais sa main et la caressais, je lui racontais ma journée. Nous avions joué au football, j’avais été appelé au tableau, Susanne avait eu un appareil dentaire, les jumeaux m’avaient invité à leur anniversaire… Tout cela était faux. Pendant toute la journée, j’avais été le cochon d’Allemand, obligé de me cacher pendant la récréation, car tout – mon casse-croûte, mon vélo, ma tenue – servait de prétexte pour rire (…) Jamais je n’eus le cœur de le lui dire, je l’entretenais de mon mieux ; elle me regardait, sa main se desserrait lentement – et j’y déposais tout ce que j’avais en ma possession, dans l’espoir que ce serait suffisant.»
Hilde est un personnage magnifique, lumineux, même si elle reste à jamais traumatisée par la guerre et ses horreurs «Ils furent pendus comme des cochons dans un battoir, disait mère ; la bouteille de vodka vidée, elle touchait le fond, ses pensées allait vers Horstchen, “das Urteil ist vollstreckt”. La douleur rendait sa voix aiguë et coupante, s’incrustait dans la peu de son visage et me transperçait le cœur ; ses yeux me fixaient, me rendant fou de terreur : cette étrangère, je ne la connaissais pas». Je n’ai pu m’empêcher de penser que Romy Schneider aurait été parfaite pour incarner Hilde au cinéma.
J’aurais tellement aimé que le roman se concentre totalement sur Hilde qu’il m’est arrivé d’être agacé par l’irruption soudaine dans le récit d’autres membres de la famille. D’ailleurs, il est parfois difficile de s’y retrouver dans le foisonnement des personnages, d’autant plus que le récit ne respecte pas la chronologie des événements. A travers ces anecdotes familiales, on suit également la chronique de l’histoire de l’Allemagne et du Danemark, des années folles aux années 1970, quand Knud découvre la magie de Radio Luxembourg.

Par son recul et son ton humoristique, Knud Romer évite à son roman de sombrer dans le drame lugubre. Il réussit à traiter de thèmes lourds et graves avec une légèreté qui fait tout le charme de ce roman. Le récit continue à faire son chemin après sa lecture, car il est tentant de transposer à notre époque l’ostracisme dont sont victimes Knud et sa mère.
Longtemps publicitaire de renom au Danemark, acteur de théâtre et de cinéma (notamment pour Lars von Trier), puis aujourd’hui écrivain reconnu, Knud Romer a réussi à s’échapper de son village natal. «D’aussi loin que je m’en souvienne, j’étais toujours à la recherche d’un moyen de quitter Nykøbing et la maison dans laquelle j’avais grandi. Je ne pouvais pas me déplacer librement et me tenais constamment sur le qui-vive, limitant mes allées et venues à une surface minimale ; c’était comme marcher sur une corde raide : la rue avait la largeur de mes propres pas, mes déplacements se bornaient aux allers-retours entre notre garage et l’école.»

Anne-Sophie, Bernard, Cathe, Fashion et Malice disent tout le bien qu’ils pensent de ce roman.

Merci encore à Marie-Anne Lacoma.

Cochon d’Allemand, de Knud Romer
Traduction : Elena Balzamo
Les Allusifs – 186 pages