banks-american-darlingSacré personnage que cette American darling. Sacré destin aussi.
Sexagénaire revêche et mystérieuse, Hannah Musgrave exploite depuis une dizaine d’années une ferme bio dans les Adirondacks, en compagnie d’autres femmes. Un jour, elle décide de retourner au Libéria, sur les traces de son passé. «C’est comme si tout le but de la vie d’un organisme – ou en tout cas celui de ma vie – consistait à atteindre le point culminant de son potentiel avec pour seul objectif de revenir ensuite à son point de départ, à l’état de cellule unique. Comme si notre destin était de retomber dans le fleuve de la vie et de s’y dissoudre à la manière d’un sel. Et s’il y a une chose qui compte, c’est bien le retour et pas l’aller.»
Fille unique d’un pédiatre à la mode dans les années 60/70, Hannah Musgrave a grandi au sein d’une famille de la bonne société blanche américaine. Etudiante en médecine, son avenir semble tout tracé. Sauf qu’en ces années Flower Power, l’engagement politique est de mise.
Comme de nombreux jeunes, Hannah va devenir une ardente militante de la lutte contre la guerre au Vietnam, contre le racisme, contre l’antisémitisme, en fait contre tout ce que représente le milieu social dont elle est issue. En cela, elle a tout de ces jeunes nantis en révolte contre leur milieu qui jouent les rebelles en s’engageant dans des mouvements idéologiques mais qui ne sont jamais pris assez au sérieux pour se voir confier une mission vitale.
D’ailleurs, quand Hannah brisera tous les liens avec sa famille et rejoindra le Weather underground, un groupuscule révolutionnaire armé, son rôle se limitera à fournir de faux papiers. «J’ai constaté que l’histoire de ma vie était totalement insignifiante au regard du monde en général. Dans la nouvelle histoire de l’Amérique, la mienne n’était que celle d’une petite Américaine gâtée, et l’avait été dès le début.» Recherchée par le F.B.I., Hannah décide de fuir en Afrique. Elle se retrouve au Libéria où elle tente de se faire une nouvelle virginité en devenant responsable d’une clinique pour chimpanzés. Quelques temps plus tard, elle épousera Woodrow Sundiata, ministre du gouvernement en place, qui lui donnera trois fils. Mais le bonheur familial affiché a tôt fait de se lézarder. Les événements politiques qui vont troubler la vie du Libéria finiront de ruiner ce semblant de vie heureuse.

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So far away, out of Africa. Qui est réellement Hannah Musgrave, cette femme pour le moins complexe qui nous confie le récit de sa vie, de ses vies ? Jamais on ne le saura réellement. Elle ne se livre que peu à peu, ses flash-back mettant en lumière certaines zones d’ombre, mais on ne peut s’empêcher de penser malgré tout que, comme aux filles de la ferme, elle ne nous raconte que ce qu’elle veut bien nous raconter. «Il est vrai que la plupart du temps, même à présent, je n’en ai pas envie de raconter mon histoire. Ni à vous, ni à personne. C’est presque comme si j’étais au-delà de toute histoire, et cela depuis des années. Vous voulez me voir en pleine lumière, mais je ne suis visible que dans l’obscurité. La lumière m’efface et, pour ma part, je ne peux pas en produire. Je suis comme une ombre blanche.»
Ce qui est certain, c’est qu’elle n’est pas immédiatement sympathique, loin s’en faut. Enfant gâtée, elle va vite se laisser dépasser par les causes qu’elle pense défendre et va multiplier les erreurs. Pleine de détermination (laquelle confine parfois à l’aveuglement), elle suit le chemin qu’elle s’est tracé envers et contre tous, n’hésitant pas à laisser derrière elle, sans remords, tous les gens qui croisent son chemin : tout d’abord sa famille biologique, puis sa famille politique, enfin sa famille africaine. Pour mener à bien les missions dont elle se croit investie, elle se blinde émotionnellement, ses fausses identités successives l’aidant probablement à couper brutalement les ponts et à ne laisser aucune prise à ses sentiments. Ses propres enfants ne feront pas exception. Seuls ses chimpanzés, ses “rêveurs” parviendront à briser sa carapace d’Hannah. En leur présence, la froideur d’Hannah disparaît.
Toutefois, au fil du roman, on se prend à compatir tout de même pour Hannah, à l’admirer même car elle ne manque pas de courage. On la plaint aussi car sa vie n’aura été finalement qu’une suite d’échecs, le plus cuisant étant celui qu’elle connaîtra au Libéria. Son mariage avec Woodrow lui apparaîtra rapidement comme une nouvelle erreur, mais elle refusera de faire marche arrière et persistera dans la voie qu’elle s’est choisie. Les événements ne vont pas l’épargner, le prix à payer sera très élevé.

Dans American darling, Russel Banks aborde des thématiques telles que la dissimulation ou les préjugés raciaux. «Aux Etats-Unis, j’avais été coincée par mon état de Blanche ; en Afrique, j’étais coincée par mon état d’Américaine.»
Mais le tour de force de Banks réside dans la façon magistrale qu’il a de mêler naturellement le destin d’Hannah à celui du Libéria, pays gangréné par la violence, la corruption, sous le regard indifférent des Etats Unis. «Si nous étions privés de parole comme mes colleys dans ma ferme ou comme mes poules, mes moutons ou mes oies, si nous aboyions ou bêlions ou gloussions, ou si, comme les chimpanzés, nous ne pouvions que pousser que quelques cris différents et devions nous servir du langage du corps, nous ne nous entretuerions pas pour le plaisir, pas plus que nous ne massacrerions les autres animaux pour le plaisir. Le pouvoir de la parole, c’est la parole du pouvoir. Les vœux de silence sont des promesses de paix. Le silence est d’or, en effet, et un âge d’or serait silencieux.» Avec art, Banks évite le cours magistral de géopolitique barbant, et rend passionnante l’histoire politique du Libéria, les relations troubles que ce pays entretient avec les Etats-Unis. On est de plain pied dans ce cloaque. «Tout ce qui vit au Liberia peut vous faire mourir de l’avoir tué. Il y a quelque chose qui pourrit sous le sol et qui empoisonne l’air.»

Merci à Miette de m’avoir offert ce livre à l’occasion du swap de mai et de m’avoir ainsi permis de découvrir Russel Banks grâce à ce roman magistral. Je m’étonne d’ailleurs qu’Hollywood ne se soit pas déjà emparé de cette histoire sublime. J’ai tellement aimé American Darling, dont le souvenir est encore si vivace à mon esprit, que je vais attendre un peu pour lire un autre Russell Banks.

Ils ont aussi aimé suivre le destin d’Hannah Musgrave : Bernard, Dda du Biblioblog, Flo, Frisette, Niklas, Rats de bibliothèque, Sophie et Sylire.

American darling, de Russell Banks
Traduction : Pierre Furlan
Actes Sud Babel – 570 pages