Insensible au(x) charme(s) de Marilyn, indifférent aux frasques du microcosme hollywoodien, vierge de toute connaissance psychanalytique, pourquoi ai-je eu envie de lire ce livre ? Sans doute à cause des multiples articles parus au moment de la sortie de ce roman, qui faisaient l’éloge de la singularité avec laquelle était présenté le mythe Marilyn, dévoilant une facette moins connue et plus sombre de l’«ange blond».
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Et c’est vrai que dans Marilyn, dernières séances, Michel Schneider nous raconte une nouvelle histoire de blonde. Mais attention, pas n’importe quelle blonde, rien de moins que celle-là même qui a réussi l’exploit de faire fantasmer des générations d’hommes tout en touchant le cœur des femmes.
Et pas n’importe quelle histoire non plus. Parce que justement, derrière la carrosserie impeccable du sex-symbol se cache une pauvresse toute déboussolée, prisonnière de cette image superficielle et de ce corps de rêve. « Lee (Strasberg) dit toujours que je dois partir de moi-même. Je lui réponds : moi-même ? Qu’est-ce que c’est moi-même ? Qui ? Je ne suis pas si importante. Qui croit-il que je suis : Marilyn Monroe ? »
Sauf que si on n’est pas du genre à se contenter des simples apparences, souvent trompeuses, on s’en doutait déjà avant même d’avoir ouvert le livre. C’est pour cela que j’ai failli abandonner la lecture au premier tiers du roman. La brièveté des chapitres aidant, j’avais l’impression de lire ces chroniques parues dans Cinémonde ou Cinévogue, ancêtres de la presse people, où étaient rapportés les moindres faits et gestes des vedettes de l’époque. Pas vraiment déplaisant, plutôt élégant, mais pas passionnant outre mesure, d’autant plus qu’on connaît déjà l’histoire et même sa fin. Paradoxalement, cette impression est renforcée par un des tours de force de ce roman qui est de si bien mêler le vrai (relevant du document) et le faux (relevant du roman) qu’il est très difficile de les distinguer. Longtemps, j’ai eu le sentiment d’avoir été floué, de ne lire qu’une énième biographie plutôt que le roman annoncé. Alors, j’ai picoré quelques chapitres pour y revenir ensuite plus tard.
Et puis, tout à coup, mon intérêt n’a cessé de croître au fur et à mesure que se profile une liaison contre nature entre la ravissante idiote et le psychanalyste freudien : Marilyn, la star de cinéma qui aimerait retrouver l’ombre et Ralph Greenson, le psychiatre hollywoodien (son quatrième thérapeute) qui ne rêve que de la lumière des projecteurs. Quelle est la nature exacte de son intérêt pour Marilyn ? Sont-ce les névroses de la star qui l’intéressent, ou plutôt la possibilité qu’il entrevoit à travers elle de pénétrer dans le temple du cinéma, et donc accéder enfin à la célébrité et à la reconnaissance dont il rêve ? Souvent m’est venue à l’esprit l’image du Docteur Frankenstein exploitant sa créature.
Entre eux va se nouer une relation ambiguë, sorte de liaison amoureuse chaste mais passionnée et dévorante, dont les deux protagonistes vont devenir accros, de la même façon que Marilyn était accro aux drogues et aux somnifères. Cette relation va les conduire à tous les excès, chacun vampirisant l’autre. Marilyn va multiplier ses séances chez Greenson à raison de plusieurs séances chaque jour, tous les jours de la semaine, au moment de son suicide. Elle l’appelait plusieurs fois par jour, parfois même en pleine nuit. Quant à Greenson, il va outrepasser son rôle de psychanalyste pour s’immiscer dans la vie professionnelle de l’actrice, allant jusqu’à exiger des changements dans les scénarios, faire virer des producteurs ou se porter garant de sa présence sur les tournages. Il va transgresser la déontologie de sa discipline en accueillant dans son foyer Marilyn comme il l’aurait fait avec un membre de sa famille. Marilyn l’accaparait tant, l’obsédait tant qu’il a fini à n’avoir plus qu’elle comme patiente. « Bon scénario, pensait-il. Chacun sans le savoir se fait le metteur en scène de l’autre. Chacun jour le rôle de ce qu’il ne savait pas être : lui un artiste, elle une intellectuelle. Chacun est finalement devenu le rêve de l’autre. Avant de se rencontre et hors de leur rencontre ni l’un ni l’autre n’était fou ; ensemble ils le deviennent. »
A star is dead. Et puis arrive le jour fatidique. Là encore, Greenson sera à la fois la dernière personne à avoir vu Marilyn vivante, et la première à l’avoir découverte morte, ce qui alimentera les rumeurs quant à sa participation au supposé meurtre de la blonde atomique. Mais une autre qualité de ce roman est de ne privilégier aucune des théories qui ont cours pour expliquer la mort de Norma Jeane (suicide, overdose médicamenteuse, assassinat où tremperaient la CIA, la mafia, les Kennedy…). Schneider nous épargne toutes les théories fumeuses et révélations scabreuses. On reste avec un Ralph Greenson abasourdi par la disparition de sa patiente chérie, preuve incontestable de son échec et des limites de la psychanalyse, même s’il ne se l’avouera jamais. «Notre boulot, dit le médecin, c’est de les réparer, de les faire aller bien, juste assez bien pour nous quitter et aller à la mort.»
Mais, pouvait-on sauver Marilyn de ses démons, la protéger d’elle-même ? Elle n’est pas glamour la Marilyn de Schneider, c’est une femme beaucoup plus complexe et moins lisse que le veut la légende, moins ingénue qu’il n’y paraît, objet de convoitise de tous les hommes de la planète mais n’hésitant pas, quand l’envie lui prenait, de devenir à son tour prédatrice en enfilant perruque brune et lunettes de soleil pour aller lever le premier venu qui voudrait bien la sauter. Toute sa vie, elle va souffrir de ne pas réussir à concilier son image et sa personnalité profonde, cherchant sans cesse à être rassurée, tant auprès des hommes que des somnifères ou de ses analystes…
Seules les photographies avaient sur elle ce pouvoir d’apaisement, ce qui explique sans doute le nombre incalculable de clichés réalisés. « Mais tu sais, on change quand on change d’endroit. Nous avons tous un jeu de personnes, différentes manières d’être soi dans différents endroits. Je ne suis pas la même à New York et à Hollywood. Différente dans ce bar et sur un plateau. Différente avec Strasberg et avec toi. Je vois ça quand on m’interviewe. Les questions vous dictent les réponses et on paraît être telle ou telle personne. Les questions m’en disent souvent plus sur celui qui les pose que mes réponses ne lui en disent de moi. La plupart des gens se trompent quand ils pensent qu’ils sont un seul moi toute leur vie, bien plein, constant, fermé. Comme ils seraient plus tolérants envers les autres s’ils reconnaissaient qu’ils sont eux aussi en morceaux, troués, changeants. »
Au final, ce qui était mal parti s’est avéré une lecture agréable en général, plus que ça même par moments. Car si j’ai eu un sentiment de déjà vu avec Marilyn, malgré l’éclairage nouveau de sa personnalité, j’ai en revanche été passionné par le personnage (mais peut-on parler de personnage pour quelqu’un qui a réellement existé ?) de Greenson, et je me suis mis à rêver du même livre, mais centré sur lui.
Les avis de Clarabel (je ne pouvais pas commencer par elle, fan de Marilyn devant l’éternel), Cathe, Lily et mAlice.
Kalistina, elle, a abandonné avant la fin.
Le site de la Fnac propose de découvrir les premières pages du roman et d’écouter une interview de Michel Schneider, ici.
Pour écouter Michel Schneider lire les premières lignes du roman, c’est ici.
Marilyn, dernières séances, de Michel Schneider
Grasset – 534 pages