Monologue intérieur : « Un cadeau ? Ah, bon, ben… c’était pas prévu… Ben, merci quand même… A première vue, ça a l’air d’être un bouquin… Y’a déjà moins de chances de tomber à côté, c’est toujours ça de gagné… Quoique… Ohhh… Des bandes dessinées. Ça tombe bien, chuis pas fana de BD… Et c’est quoi le thème ? Science fiction ? Ah ok, tout ce que je déteste, super… Et y’en a quatre albums en plus, vraiment c’est trop, tu me gâtes… »
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Mais, attention, je ne suis pas aussi mal élevé que j’en ai l’air. J’ai quelques restes de savoir-vivre. Alors, j’ai remercié poliment, pas trop mollement mais sans trop d’effusions suspectes non plus.
Et comme souvent quand il s’agit de livres, a fortiori des albums illustrés, ma curiosité est la plus forte. Je palpe, je caresse, et je feuillette. « Oh, pas mal les dessins. J’aime beaucoup l’esthétique, le trait et les couleurs… Et puis, c’est pas vraiment une BD. Enfin si, c’est une BD parce qu’il y a des images et des textes, mais ce n’est pas une BD traditionnelle… Ça ressemblerait plus à la pellicule d’un film qui se déroulerait au fil de l’album… Finalement, ça m’a l’air plutôt pas mal ce truc… Le récit tient plus de l’anticipation que de la SF, tant mieux. Et en plus, ça flirte avec la psychanalyse, well, well, welll… Installons-nous confortablement, et voyons ça de plus près. »
Et voilà comment je me suis retrouvé à dévorer les aventures d’Eva Stern, psychanalyste née avec le siècle, et de son frère, Franck, photographe décédé à l’âge de seize ans dans les tranchées, en 1917. Ou n’était-ce pas plutôt en se défenestrant dans les bras d’un ange ? D’ailleurs, Franck ne serait-il pas lui-même un ange qui serait, de fait, immortel (“ewig”) ?
A travers les clichés qu’@nonymous envoie par email à la vieille femme, Lucienne, une jeune étudiante qui consacre son mémoire à Eva, va parcourir les grands événements du vingtième siècle qui ont bouleversé l’ordre du monde : les deux guerres mondiales, l’avènement des communistes en URSS, des nazis en Allemagne, le premier homme sur la lune, Woodstock, le Viet Nam…
Mais les images ne peuvent-elles pas mentir ? Qui se cache derrière @nonymous ? Que veut-il ?
La vérité est ailleurs. Quelle leçon tirer de cette œuvre originale, en rupture totale avec les codes du genre ? La vérité n’existe pas, ou plutôt la vérité est multiple, chacun détenant sa vérité. Dans XXeciel.com, tout n’est qu’ambigüité. La vison du lecteur sur les événements fluctue en fonction des points de vue des personnages, chacun refaisant son histoire à partir des mêmes photos, mais en leur donnant un sens et une interprétation différents.
Yslaire va même jusqu’à brouiller encore plus les pistes en offrant à sa saga deux tomes 3, Mémoires <20>00 et Mémoires <19>00. Quel album lire avant l’autre ? Peu importe puisque, de toutes façons, la fin de l’un ouvre sur l’autre et vice-versa, dans une sorte de boucle sans fin.
Voici ce qu’en dit l’auteur : « Quand s’est terminé le XXe siècle ? Comment finit le XXe ciel ? Je vois la fin du XXe siècle à l’image des deux tours du 11 septembre 2001. A mes yeux, un seul album pour l’évoquer, s’interpréterait comme une prétention de savoir : “voilà, ça, c’est terminé tel jour à telle heure, comme ça. The end.” Deux albums, c’est la suggestion qu’il n’y pas une Vérité, Que Dieu n’est peut-être pas mort en 1900. Que l’Histoire est d’abord le produit de plusieurs histoires. Qu’il est trop tôt pour en faire une théorie. Que comme disent les bouddhistes, dès le début, il n’y a pas de commencement, que la fin n’est pas un achèvement ? Le cycle XXeciel.com ne se termine donc pas en un Tome mais en deux. Parallèles. Après mémoires 98 et mémoires 99, le dernier tome s’intitule mémoires 00 et mémoires 00. Ou mémoires 00 et mémoires 00. Sans qu’il soit possible de savoir ou de préciser par lequel commencer. C’est une question de regard. Rouge ou bleu. Ou bleu et rouge. Oui, l’idée peu banale d’éditer ces deux fins en deux albums simultanément, ressort de ma volonté d’Auteur. Par souci de cohérence. Car XXeciel.com est avant tout une BD d’Auteur, dont l’infinie prétention est d’oser dire “JE me souviens” en parlant de ces cent ans que je n’ai vécu qu’à moitié et dont j’ai imaginé le reste, à savoir une tentative de sens ? Au moins aurez vous échappé à la vanité suprême de résumer la mémoire de milliards d’êtres humains par “Il était UNE fois ? le XXe siècle”.»
Mes incursions dans le monde de la BD sont rares, mais celle-ci restera inoubliable. Pour se faire une idée de l’esprit et de l’esthétisme de cette aventure hors catégorie, il est possible de consulter quelques planches du tome 1 ici, du tome 2 là, du tome 3 là aussi, et du tome 3 là encore.
A lire sur le site XXe ciel.com, une interview de Bernard Yslaire.
Mémoires 1998, de Bernard Yslaire – Les Humanoïdes Associés – 59 pages
Mémoires 1999, de Bernard Yslaire – Les Humanoïdes Associés – 64 pages
Mémoires 19<00>, de Bernard Yslaire – Les Humanoïdes Associés – 50 pages
Mémoires 20<00>, de Bernard Yslaire – Les Humanoïdes Associés – 78 pages